Grâce au groupe Facebook des frères et soeurs endeuillés, deux soeurs sont entrées “en communion” : l’une d’elles a prêté sa voix aux mots de l’autre. Une douloureuse épreuve peut ainsi engendrer la créativité, susciter le partage avec l’autre, faire resurgir de la vie…
Le récit d’Anne
J’ai lancé en avril 2020 mon podcast “Demain il fera beau”, qui parle de la vie après le deuil d’un proche. Depuis le décès de ma sœur en juillet 2017, j’ai participé aux rencontres frères et sœurs à Paris et suis devenue membre du groupe Facebook frères et sœurs endeuillés en 2018.
Je trouve salvateur qu’il existe cet espace de parole sur les réseaux sociaux mais je dois avouer que je reste souvent impuissante et démunie face à la détresse de certains témoignages.
Quand Yael a posté son écrit sur le groupe, je l’ai d’abord lu une première fois, les larmes sont montées. Je ne la connaissais pas et pourtant j’ai vécu une communion avec elle grâce à son récit. Puis à la seconde lecture, les mots de Yael se sont mis à chanter dans ma tête, toujours avec une émotion vive tellement la puissance et la justesse de son écriture ont fait écho en moi. Là, s’est déclaré une espèce d’urgence en moi, comme un besoin viscéral de faire vivre ce texte en musique. J’ai contacté Yael seulement une heure après son post avec la sensation d’être intrusive dans ma démarche et en même temps la conviction que je ne pouvais pas faire autrement. Ses mots se sont inscrits en moi.
J’ai enregistré ma voix sur fond musical avant même que Yael m’autorise à le diffuser dans mon podcast. Au pire, c’était un cadeau que je m’offrais à moi-même ! Puis quelques jours plus tard, Yael me dit être touchée par ma démarche, je lis même à travers son message que ça la bouleverse autant que moi. Nous n’aurons pas besoin d’échanger beaucoup plus pour parler d’une rencontre puissante rendue possible par ce groupe.
Aujourd’hui je suis toujours touchée des retours que je reçois quand les auditeurs du podcast “Demain il fera beau” me parlent de la lettre pour Mylène. Ce texte dit avec des mots simples toute la beauté et la cruauté du monde. Je suis remplie de gratitude envers Yael qui a pu me faire vivre autant d’émotions positives sur un sujet aussi douloureux.
Anne
Ecouter le podcast dédié à Yael
Le récit de Yael
J’ai d’abord rencontré Valérie Brüggemann. Valérie m’a parlé du groupe Facebook de frères et sœurs endeuillés. Au début, je me sentais réticente à ce groupe. J’avais le sentiment d’une stigmatisation, d’une étiquette, d’une singularité liée à la perte d’un frère ou d’une sœur qui me questionnait car elle était pour moi à ce moment, insaisissable.
Je le sais aujourd’hui, j’en étais à un moment de mon deuil qui rendait difficile l’acceptation de cette singularité. J’avais perdu une personne que j’aimais, ma sœur, qui était aussi et surtout la fille de mes parents, la mère de ses enfants, la femme de son mari. La famille était dévastée. J’appartenais à cette famille et nous souffrions tous. Il ne m’était pas encore possible de me différencier, de me penser moi avec la perte de ma sœur. Et cela a été l’un des enjeux de l’écriture de mon livre.
Puis j’ai fini par m’inscrire sur le groupe Facebook. Je lisais les témoignages et c’était souvent un déchirement. Je me retrouvais dans beaucoup de mots, d’émotions qui se disaient et tout résonnait, tout me disait que je n’étais pas seule. Je répondais rarement sur le groupe. J’exprimai de temps en temps quelques mots choisis, ceux qui me semblaient les plus justes : “ce groupe est un lieu de consolation”.
Un jour, je relisais mon manuscrit. Et j’ai eu envie de partager un extrait, comme une manière d’aider, de rendre ce que m’avaient permis de comprendre les témoignages et de dire merci au courage que cela demandait.
Et j’ai publié ce qui s’appelle aujourd’hui grâce à Anne : “Lettre à Mylène”. Les réactions ne se sont pas fait attendre. Un flot de messages coulait et exprimait des émotions très différentes selon les expériences et là où les personnes en étaient dans leur chagrin. Parmi les messages il y avait celui d’Anne qui me proposait en message privé, délicatement, d’enregistrer cet extrait du livre en musique et de le publier sur le podcast au nom magnifique qu’elle a créé : “Demain il fera beau”.
La seule réticence que j’avais venait d’une peur floue. Mon texte ne m’appartiendrait plus, mon histoire va se partager, elle va sortir de ma famille, elle allait raconter ma sœur Mylène. La seule chose qui me rassurait, alors que je ne connaissais pas Anne, était que je lui faisais confiance. Je percevais dans ses mots une compréhension, une envie chez elle, une audace, une honnêteté et une sincérité, puis en écoutant son enregistrement, l’honneur qu’elle faisait à mes mots et à mon histoire. J’avais peur d’être submergée par l’émotion et ma peur s’est réalisée !
Anne a mis en musique mes mots. Elle a raconté la musique du temps du deuil, son rythme, ses silences, ses accélérations, ses ralentissements. Elle a honoré la figure du temps du deuil qui prend du temps. Elle a fait de mes mots, d’une histoire unique, singulière, une réalité universelle, dans laquelle chacun peut se retrouver.
Et la sororité a résonné. Je suis sœur avec d’autres que ma sœur, par une histoire commune, celle de la perte. Et ce lien que permet ce groupe est très aidant. Je suis fascinée de voir comment d’un évènement difficile, la perte, le deuil, peuvent resurgir de la vie, de la créativité, de l’autre.
Je tiens vraiment à remercier Anne, Valérie et le groupe “frères et sœurs endeuillés”.
Yael