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Le jour où la Durance

Marion Muller-Colard signe son premier roman, un texte d’une puissance rare… pendant qu’une pluie diluvienne gonfle les eaux de la Durance voisine…
Un écrit qui parle du deuil, de la maternité, du lien filial avec et au-delà du handicap de l’enfant, de la parole qui peine à naître quand toute une famille tient dans le silence.
Il y a si peu de témoignages après la mort d’un enfant porteur de handicap. Il y a là un écrit qui porte à réfléchir.

“Confie-toi à voix basse aux eaux sauvages que nous aimons. Ainsi tu seras préparé à la brutalité, notre brutalité qui va commencer à s’afficher hardiment… Est-ce la porte de notre fin obscure, demandais-tu ? Non ? Nous sommes dans l’inconcevable, mais avec des repères éblouissants.” Le livre s’ouvre sur cette citation de René Char

“Tout le monde n’a pas le don des larmes. Les enfants l’ont. On leur retire comme un jouet obsolète. Certains résistent, conservent l’art secret de pleurer. D’autres devront apprendre à nouveau, remonter les bras morts de leur vie, retrouver l’art antique des sourciers.
Sylvia [la maman de Bastien] n’a pas désappris à pleurer : elle est née sèche.

Combien d’heures a-t-elle passée sur les berges limoneuses de la Durance dans les silences de fin de nuit, debout derrière Bastien, croyant voir couler dans la rivière l’insondable bleu-gris des yeux de son fils ?

Quelque chose d’illisible liait l’enfant à la rivière…

Bastien ? Un mètre cube amovible à souhait sur roulettes. Il gêne le passage ? Poussez-le sur le côté.
Mais depuis qu’il est mort, le mètre cube occupé par Bastien semble enfler. Sylvia ne cesse de s’y cogner, le contourne comme un champ magnétique. Il pleut sans discontinuer. On n’a jamais vu pareille pluie.”
Chez Sylvia aussi, la part sauvage menace de déborder à mesure que les souvenirs familiaux affluent.

“Il est sept heures quarante-cinq, on est garçon de café… On jette un coup d’œil à la table de la femme qui est là depuis quarante-cinq minutes, arrivée à peine après l’ouverture. On voudrait capter son regard, la ramener du côté des vivants… C’est précisément à cette personne qu’on voudrait dire « ma petite dame » avec la même douceur qu’en s’adressant à une toute petite fille, se pencher vers elle, lui dire ; vous savez quoi ? Je vais vous raccompagner chez vous. Et hausser les épaules si elle demande pourquoi. Sourire, hausser les épaules, passer doucement sa main sous son coude, lui impulser de se lever, dire au patron je reviens tout de suite et savoir tranquillement qu’on est en train de sauver quelqu’un de la noyade et qu’on peut bien se faire vire ça m’est égal.”

Ce parallèle entre la mère et la rivière, entre le fils paralysé et l’eau noire, subtilement tissé tout au long du roman, ne cesse, comme un torrent, de prendre de la force au fil des pages.
Un roman puissant, une écriture sensible, un récit bouleversant dans lequel l’auteure nous rappelle que, comme Sylvia, nous sommes parfois les spectateurs impuissants des digues qui en nous sont pulvérisées par l’eau qui monte soudain.

J’ai adoré ce récit.

dominique d.

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