Accueil / Témoignage / Un phare dans ma nuit

Un phare dans ma nuit

Un père dont le fils s’est suicidé, c’est un navire à la dérive. Dans cette navigation en eaux troubles et mouvementées, il faut trouver des criques à l’abri du vent du large où l’on prendra quelque repos, où la houle cessera pour un moment de vous malmener.

C’est Apprivoiser l’Absence qui m’a apporté ces points d’ancrage. Un triste dimanche de janvier en fin d’après midi, l’appel de Véronique, responsable de l’accueil des parents en 2006, a allumé comme un phare dans ma nuit. Quand mon équipage rapproché – ma femme et mon fils aîné – sombrait comme moi sous des flots de chagrin et de culpabilité, il y avait au loin cette lumière intermittente, cette promesse d’accalmie, d’apaisement à l’abri. Il m’a fallu des mois pour rejoindre d’autres parents qui, comme moi, semblaient perdus sur une mer démontée. Mais dès la première réunion de notre groupe d’entraide, j’ai su qu’ils seraient mes meilleurs compagnons pour rejoindre la terre ferme. Pendant un an, j’ai découvert avec mes compagnons de larmes la carte du Deuil, un océan sauvage où je n’avais jamais pensé devoir m’aventurer, une espèce de mer brumeuse où chacun d’entre nous naviguait à vue ; pendant un an, nous avons échangé nos récits, guidés par nos animateurs, qui faisaient tout leur possible pour nous éviter les écueils.

Retrouver un peu d’estime de soi. J’avais très peur lorsque j’ai intégré le groupe. Peur du jugement que les autres allait porter sur moi, peur qu’ils arrivent à cette conclusion simple : normal que ton fils se soit suicidé avec un père comme toi. C’est à près l’inverse que j’ai ressenti au fil des rencontres. Plus je m’exprimais, et surtout plus j’écoutais mes compagnons, plus je regagnais confiance en moi. J’avais à entendre, j’avais à dire, j’avais ma place. Lors de la rencontre suivante, on ne me tenait pas rigueur de ce que j’avais exprimé. On était tout simplement bienveillant. Inespéré !

Répartir la charge émotionnelle. Dans les premiers temps du deuil, j’ai ressenti que peu d’attention était porté au père de l’enfant disparu. Cette sensation était sans doute injuste et égoïste mais la frustration était bien réelle. Participer à un groupe m’a donné l’occasion de m’exprimer en dehors de toute contrainte, familiale ou médicale. Dans le couple en particulier, toute parole fait écho à la souffrance de l’autre et risque de vous revenir amplifiée, encore plus douloureuse. Au contraire dans un groupe d’entraide, la charge émotionnelle se dissout parmi tous les membres du groupe. On peut ainsi “déposer” ce qui vous pèse sur le cœur et retrouver un semblant de souffle. C’est le seul endroit où l’on peut laisser entrevoir un peu de “son paysage intérieur” sans risque.

Partager l’immensité de sa perte. Dans les premiers mois de confrontation à l’absence, j’ai agi un peu de manière automatique. Accomplissant tant bien que mal ce qu’il y avait à faire sans vraiment prendre la dimension de la perte de mon fils. J’ai plongé dans cet océan de chagrin à l’intérieur de mon groupe d’entraide ; mais c’est comme si, cette fois, j’avais eu des bouteilles d’oxygène pour être capable de remonter jusqu’à la surface. La voix, la parole, les récits de mes compagnons étaient autant de bouées de sauvetage.

Une fois, une de nos animatrices nous avaient rapporté de ses vacances à la mer des galets et nous avait demandé d’en choisir chacun un. Des années après, la petite pierre est toujours là dans le tiroir de mon bureau ; je la regarde et les souvenirs me reviennent : sa forme m’avait rappelé celle du crâne de mon bébé blond… Parfois, je la prends au creux de ma main ; au début, elle est froide “comme la pierre”, puis elle se réchauffe contre ma paume ; je me sens moins seul alors. Tous les membres de mon groupe sont avec moi. En pensée. En vie.

Souquez ferme, compagnons de larmes, le voyage n’est pas terminé mais nous avançons…

Pierre, père de Valentin

2 commentaires

  1. C'est joliment bien dit, moi aussi ces réunions de rencontre m'ont bien aidée et vous décrivez bien le ressenti que j'en ai eu.
  2. Merci pour ces paroles. J'ai perdu mon fils de la même façon.

Réagissez

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués d'une étoile *

Votre commentaire sera publié après validation.

*