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Vingt ans d’entraide pour les parents en deuil

Vingtième anniversaire d'Apprivoiser l'Absence - Chatenay Malabry - 6 octobre 2013

Je suis tombée cette semaine sur cette maxime de l’abbé Pierre qui m’a parue faite pour nous :
Il ne faut pas attendre d’être parfait pour commencer quelque chose de bien…
C’est conscients de notre imperfection et de nos limites que nous avons osé nous lancer dans le Nord en 1986, dans la création d’une association pour les enfants atteints de cancer et leur famille, Choisir l’Espoir, et quelques années après dans l’aventure d’Apprivoiser l’Absence, pour les parents en deuil d’un ou plusieurs enfants. Par conviction nous avons donc toujours travaillé en équipe, cette dernière étant la plus belle façon de parer à nos imperfections.

Un peu d’histoire …

L’accompagnement des enfants atteints de cancer à Choisir l’Espoir nous a malheureusement très vite confrontés au deuil des familles. Pendant sept ans, les bénévoles ont assuré un suivi de deuil d’une année, auprès des familles dont elles avaient accompagné l’enfant. Puis certains parents accompagnés ont manifesté le désir de se rencontrer et la proposition des groupes d’entraide Apprivoiser l’Absence a été faite au sein de Choisir l’Espoir en 1993, avec une équipe sur le Nord et une sur Paris où nous venions d’emménager. Ils se sont ouverts à toutes les causes de décès et ont fonctionné sous la responsabilité et avec l’aide de Choisir l’Espoir Nord puis Choisir l’Espoir Ile de France, jusqu’en 2006, date à laquelle Apprivoiser l’Absence est devenue indépendante.

Assez vite, nous nous sommes heurtés à un problème de communication car il n’était pas facile de conjuguer dans la présentation de l’association, l’aide aux parents d’un enfant atteint de cancer en cours de traitement, qui vivent dans l’espérance de gagner la lutte contre la maladie, et l’aide proposée aux parents en deuil. Trente ans après, nous nous souvenons encore tous les deux, de notre refus viscéral d’envisager que nous puissions un jour être des parents en deuil, alors que Géraldine était encore avec nous.

C’est ce qui a conduit les responsables de Choisir l’Espoir à demander à l’équipe d’Apprivoiser l’Absence de s’autonomiser. L’équipe de Lille s’est rattachée à l’antenne lilloise de l’association Vivre son deuil. La faisant bénéficier de son expérience et de son expertise, elle y a initié l’accompagnement en groupe d’entraide pour les parents. L’équipe de Paris a poursuivi ses activités en région Parisienne puis déposé en 2006 les statuts de l’association que vous connaissez aujourd’hui.

Nous voulons aujourd’hui redire Merci à Choisir l’Espoir d’avoir accueilli et soutenu les premiers pas des groupes d’entraide dès 1993 et d’avoir fait vivre ces groupes dans le Nord puis en Ile de France de longues années. Nous sommes heureux que des représentants de cette première équipe d’animateurs dans le Nord aient fait la route pour nous rejoindre aujourd’hui.

Le contexte de la naissance des groupes d’entraide

Les choses se sont d’abord présentées sous la forme de combats pour faire évoluer les représentations et les théories qui avaient cours il y a 20 ans à propos de la mort de l’enfant et du deuil des parents, voire, du deuil en général. Je parle de “combat”, car ces théories étaient bien ancrées et les premiers parents qui ont témoigné pour tenter de faire entendre une autre voix, étaient parfois considérées comme des personnes qui faisaient un deuil pathologique.

– Notre premier combat a été, dès 1986, de faire évoluer l’image du bénévole. Il était souvent considéré comme une personne de bonne volonté mais sans compétence particulière. Forts de l’expérience anglo-saxonne, nous avons lancé un programme de formation initiale et continue qui permettait aux bénévoles d’accompagnement d’offrir un service de qualité et d’acquérir des compétences. Les soignants du CHR de Lille nous ont souvent dit qu’ils aimeraient bien bénéficier de la formation de Choisir l’Espoir ! Apprivoiser l’Absence a poursuivi cette politique de formation solide et sécurisante pour tous. Il y a vingt ans, confier à un bénévole l’animation d’un groupe d’entraide était un peu subversif et peu recommandable. En tout cas c’était potentiellement dangereux !

– Puis nous avons entrepris de faire connaître les besoins des parents. On cherchait à leur éviter des souffrances en les éloignant des situations difficiles qui paraissaient invivables aux yeux de l’extérieur. En vue de les protéger, on les éloignait au moment de la phase terminale d’une longue maladie et au moment du décès de leur enfant, on réduisait au minimum les horaires de visites auprès d’un enfant en réanimation, on évitait aux parents la confrontation avec le corps de l’enfant décédé… Ce faisant on générait d’autres situations, tout aussi difficiles, qui avaient des répercussions à long terme : manque du lien vécu jusqu’au bout, des souvenirs qui complètent la “malle à trésors”, manque des dernières images attestant de la réalité de la mort de l’enfant, manque de temps pour dire Au Revoir à cet enfant…

– Un troisième combat s’est livré autour de la notion de temps du deuil : Faire reconnaître la longueur du temps du deuil, en général, et la longueur particulière pour la mort d’un enfant. Le mythe d’un an pour “faire le deuil” était encore en vigueur. Les anglo-saxons nous ont beaucoup aidés et les premières études scientifiques venant attester de ce temps nécessaire pour les parents ont été réalisées aux Etats-Unis en 2003.
Nous devions faire entendre aussi le fait que “le temps du deuil” est éminemment personnel et dépendant de nombreux critères qui ne permettent pas d’établir des règles générales dans ce domaine. Nous avons milité pour faire reconnaître le temps du cœur dont Christian Bobin dit : Le temps du cœur, beaucoup plus lent que le temps mesurable, n’est pas respecté, compris.
Des professionnels avec lesquels nous avons travaillé, ont beaucoup aidé à cette évolution : je pense en particulier à Michel Hanus qui m’a permis d’intervenir dans des colloques, des Diplômes universitaires et des publications pour faire connaître nos activités. (TU nous manques tant Michel depuis trois ans !). Je pense aussi à Christophe Fauré, parrain de notre association qui connaît Apprivoiser l’Absence de l’intérieur puisqu’il a fait partie de l’équipe d’animateurs et je pense aussi à l’équipe du Centre François Xavier Bagnoud, devenu Centre National de Ressources en soins palliatifs.

– Autre combat : faire reconnaître par les professionnels comme par l’entourage et le grand public l’utilité et le rôle thérapeutique du besoin de retourner dans les souvenirs, les lieux partagés avec le défunt, ses passions, ses traces… (cimetière, Gâteau au chocolat fait le jour de l’anniversaire de l’enfant décédé et désapprobation de la psy, de l’entourage, etc.). Vous avez tous entendu ces remarques : Tourne la page !, Tu te fais du mal à reparler toujours de tout cela, Change-toi les idées !, qui ne faisaient que renforcer la souffrance de l’absence et le sentiment d’isolement des parents.

– Faire admettre à la société (et parfois aussi aux professionnels) que le fait de se retrouver entre pairs pouvait être bénéfique et aidant. La naissance des “self help groups” dans les pays anglo-saxons avait ouvert la voie, et ceux créés par Jean Monbourquette au Canada en particulier pour les endeuillés dans les années 1960. Mais le chemin allait encore être long en France pour que cela s’impose et convainque. Je me souviens des recommandations que l’on me donnait dans les années 1990, avant un cours de diplôme universitaire de soins palliatifs : Et ne nous parlez pas du Canada. On est en France et les canadiens sont très différents !
Certes, nous avons transformé le modèle québécois puisque de trois mois au Québec, les groupes sont passés à une année en France, pour accompagner les parents dans toutes les dates difficiles de l’année. Mais nous avons gardé le cœur et l’esprit insufflé par Jean Monbourquette et porté par Gilles Deslauriers qui a formé à l’accompagnement du deuil tant d’animateurs en France et à Apprivoiser l’Absence.

– Apprivoiser les professionnels pour travailler en réseau avec eux dans l’accompagnement du deuil. Les associations d’accompagnement, encore peu nombreuses il y a vingt ans, n’avaient pas bonne presse et les bénévoles qui s’y investissaient étaient souvent considérés comme suspects.
Nous disons un grand Merci à tous les professionnels psy qui ont plongé avec nous dans la co-animation des groupes ! Ce faisant, vous avez découvert la complémentarité de votre travail de professionnels avec celui fait dans les groupes d’entraide, et le bénéfice que les parents en deuil pouvaient tirer de cette complémentarité.

Un grand Merci aux professionnels du soin qui nous ont ouvert les portes de leur hôpital et qui ont fait confiance à l’association en la faisant connaître aux parents dans leurs Services !

Dans cette page d’histoire, il faut aussi rendre hommage aux premières associations qui ont œuvré dans l’accompagnement du deuil des parents en France et en particulier à Jonathan Pierres Vivantes qui est née en 1978 et a été pionnière dans l’accompagnement des parents en deuil et Naître et Vivre en 1984 pour l’accompagnement des tout-petits et à l’association Vivre son deuil née d’un groupe de travail initié par Michel Hanus à la Fondation de France auquel j’ai eu la chance de participer.

– Une de nos préoccupations était d’offrir aux animateurs et animatrices de groupes d’entraide des lieux de supervision dans lesquels ils et elles pouvaient analyser leur pratique, prendre du recul et devenir conscients de ce qui se jouait pour eux, pour elles, dans l’animation d’un groupe, en particulier par rapport à leur propre histoire de parent en deuil. Merci à Aliette de Panafieu qui anime ces groupes depuis 1997.

– Enfin, ce panorama serait incomplet si nous omettions de mentionner le rôle capital de la Fondation de France, depuis 1986, dont le soutien a donné une crédibilité à notre action et surtout l’a financée à ses débuts. Voilà, à grands traits, l’état des lieux du deuil et des groupes depuis vingt ans et les origines d’Apprivoiser l’Absence.

Je n’ai jamais oublié que c’est sur un appel et une reconnaissance de Jean Monbourquette que j’ai osé me lancer il y a vingt ans (“Annick, tu peux !”). Nous avons commencé à fonctionner sur ce mode de l’appel et avons proposé à des parents qui avaient bénéficié d’un groupe, de devenir animateurs à leur tour. A vous toutes et vous tous qui avez répondu à l’appel reçu, nous vous disons aussi un grand Merci ! En particulier à Véronique Poivre d’Arvor et Dominique Davous qui ont répondu à mon appel lorsque j’ai souhaité quitter en 2000 la responsabilité directe des groupes d’entraide ; animatrices et conceptrices de talent, vous avez tant œuvré pour que les bases, le cadre et l’âme de l’association ne se perdent pas et que parents et animateurs disposent de documents de références ! Vous êtes vraiment les co-fondatrices de cette belle association !

L’association grandissant, tous les talents ont été bienvenus et accueillis : nous pensons aux dénicheurs de locaux, aux aménageurs toujours pleins d’idées, à toutes celles et ceux qui, inlassablement, vont parler de l’association dans des lieux les plus divers (associatifs, professionnels, IFSI), aux organisateurs de temps forts qui font grandir (comme celui que nous allons vivre avec Jacques Lecomte cet après-midi) ; nous pensons aux champions de l’informatique qui ont lancé le site de l’association et le font vivre, à celles et ceux qui, témoins de la souffrance de leurs autres enfants, ont osé lancer, en binôme avec des professionnels, des groupes pour les frères et sœurs en deuil.

Nous pensons bien sûr à celles et ceux qui ont accepté la responsabilité de présider l’association : Benoît, qui a accompagné les premiers temps si importants et fondateurs et Jean-Yves, depuis cinq ans : sans avoir perdu d’enfant, l’absence d’un être aimé t’était malheureusement familière et cela t’a permis d’être de plain pied avec chacun et chacune tout de suite. Tes grandes qualités de manager d’entreprise ont aussi ouvert des horizons à l’association et permis son développement dans d’autres villes. Un Merci tout particulier à toi !

Nous pensons aux fils rouges depuis vingt ans (ce sont les personnes qui animent l’équipe d’animateurs, accueillent les parents au téléphone et en entretien, les orientent vers les groupes et les accompagnent pendant l’attente de l’ouverture de leur groupe).
Nous pensons aussi aux personnes qui ont eu l’audace de lancer des antennes Apprivoiser l’Absence, et qui font vivre les groupes d’entraide dans leur région : la Bretagne à Vannes et Marseille, la dernière née. Nous pensons enfin à tous vos réseaux qui, mis côte à côte, ont si souvent fait des miracles.

C’est grâce à toutes ces initiatives et à votre générosité que l’association a traversé les années et est si vivante aujourd’hui. Ce qui fait vivre Apprivoiser l’Absence depuis vingt ans, c’est le souci de l’autre, l’amour de l’autre, le désir de l’aider à découvrir et redécouvrir ses ressources malgré l’épreuve, le manque et l’absence de l’enfant ; le désir aussi de l’aider à découvrir, parfois, des ressources insoupçonnées.

Ce qui fait vivre Apprivoiser l’Absence depuis vingt ans, c’est la conviction qu’il est bénéfique de partager ensemble nos questions, nos doutes, nos échecs et ce qui nous aide, pour ouvrir des chemins nouveaux dans la souffrance de l’absence.

Quand vous lirez le livre de Jacques Lecomte, La bonté humaine, vous y découvrirez l’ubuntu défini par Nelson Mandela comme le sentiment profond que nous ne sommes humains qu’à travers l’humanité des autres ; que s’il nous est donné d’accomplir quelque chose en ce monde, le mérite en reviendra à parts égales au travail et à l’efficacité d’autrui.

Nous sommes pleinement conscients ce matin de ce que nous vous devons à chacun et chacune ; conscients aussi d’avoir tant reçu : de nos enfants qui sont des appels à la vie, de Géraldine, de Choisir l’Espoir et d’Apprivoiser l’Absence qui ont donné du sens au non-sens de sa mort, de vous, amis parents si durement éprouvés par l’absence de votre ou vos enfants, de l’amitié découverte et partagée au fil de ces vingt années au sein de l’association.

Deux mots nous viennent : MERCI et CONTINUEZ !

Annick Ernoult – 6 octobre 2013

Un commentaire

  1. Mam'ange depuis juin d'un fils unique accidenté en moto. Je voudrais rencontrer et créer en Savoie un groupe d'échange. Qui peut m'y aider?

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