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Un endroit où la parole est libre de tout jugement

J’ai 46 ans et demi. Mon frère est mort quand j’avais 45 ans et demi.

Je n’arrive pas à dormir. Quelquefois à cause de la colère que j’ai contre l’univers, quelquefois à cause de la tristesse attisée par son absence, par mon impuissance à changer ce qui s’est passé avant sa mort et cette nuit aussi, où il a arrêté de respirer et par mes “j’aurais dû, j’aurais pu”.

Le deuil est un chemin solitaire, unique pour chacun. Tellement long, tellement dur. Cela fait un an et deux mois et demi que je souffre, que je pleure. C’est tellement épuisant physiquement. Je suis comme un yaourt brassé, brassée par la colère, la tristesse, le stress, l’impuissance, l’acceptation de cette réalité “sa mort” et la non-acceptation de sa mort. Je ne le reverrai plus jamais. Plus jamais il ne m’appellera “petite sœur”.

Je suis frustrée car nous avons gâché tant d’années sans être en lien. Il avait repris le lien avec moi. Heureusement. Heureusement qu’il n’est pas mort à une période où on ne se parlait plus. Comment ai-je pu accepter de passer des périodes sans contact alors qu’à tout moment il aurait pu disparaître ? Comment j’ai pu ? Et la culpabilité pointe son nez. Elle s’installe parfois mais jamais trop longtemps. Je sais que j’ai fait de mon mieux avec ce que j’avais comme limites, comme possibilités, comme ressources. Ces ressources que j’ai accumulées par moi-même au fil des ans grâce à certains êtres humains croisés sur mon chemin. Heureusement.
Et ce lien je ne veux pas le couper. Si je le coupe, je vais tomber. Tomber jusqu’où ?
Tisser un autre lien ? Ok mais à partir de quand ? Je ne suis pas prête. Je ne veux pas qu’il soit mort (ça c’est la colère). Je ne vais pas y arriver (ça c’est la tristesse).

Et heureusement il y a Apprivoiser l’Absence, son groupe de paroles des frères et sœurs endeuillés. Je suis une sœur endeuillée et je suis allée deux fois à ce groupe. La première fois je suis ressortie avec un mal de tête, la seconde fois non, car j’ai respiré et j’ai bu de l’eau et du thé. Nous parlons chacun à notre tour de notre frère ou de notre sœur.

Enfin ! Un endroit où je peux parler de lui sans jugement des autres, sans envie des autres de nous déplacer à un endroit où ils se sentiraient plus à l’aise ou là où ils aimeraient nous voir. Tout ça parce que les autres nous aiment, veulent nous consoler ou veulent qu’on redevienne comme avant. Ils ne savent pas faire, c’est tout.

Là, dans ce groupe de paroles des frères et sœurs endeuillés, nous écoutons, nous comprenons, nous discutons, nous entendons les témoignages, de ceux qui ne vont pas bien, de ceux qui de temps en temps vont mieux, de ceux qui enfin parlent depuis tant d’années de silence et de “Chut ! N’en parlons pas !”, de ceux qui vont beaucoup mieux et qui peuvent aussi de temps en temps avoir les larmes aux yeux, encore, après tant d’années de deuil.

Aujourd’hui, même brassée, je peux avoir de l’espoir. Un grand merci à Apprivoiser l’Absence, à Valérie et Agnès et à tous ceux présents le 25 mai dernier. Je sens encore votre présence !
Lucie

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