Je m’appelle Hélène, j’ai 26 ans. Mon frère est parti il y a presque cinq mois maintenant. Comme chaque soir, m’endormir est difficile mais ce soir encore plus que d’habitude. J’ai ressenti le besoin d’écrire quelque chose pour lui. Voici mon témoignage. C’est une première pour moi.
Mon grand frère, Jean-Baptiste, a retourné son arme de service contre lui le samedi 14 septembre 2019 aux alentours de 22h50. Il avait 32 ans. Je vivais avec lui depuis novembre 2018. Je n’étais pas présente ce jour-là. Il a attendu que je parte en week-end, chose qui arrivait très rarement, révisions obligent. Il avait bien calculé la chose…
Presque cinq mois après, je me repasse toujours en boucle la dernière journée où je l’ai vu, cet ultime instant où j’ai fermé la porte de l’appartement pour partir en week-end. Il était assis sur le canapé, en train de textoter sur son portable, une jambe croisée sur l’autre, à l’aise après une dure journée de travail. Il avait l’air tellement normal. Il avait l’air d’aller bien. Je me repasse en boucle le tourbillon dans lequel j’ai été prise lorsque son Général m’a annoncé la nouvelle, vers deux heures du matin le dimanche. La farandole de questions, le fameux “POURQUOI”, qui tournait en boucle dans ma tête. Le trajet, interminable, pour retourner chez moi, chez nous, en pleine nuit.
La question qui revient souvent c’est : “Comment vont tes parents ?” Je réponds comme je le peux, je ne laisse rien paraître. J’ai le sentiment de ne pas avoir le droit d’étaler ma souffrance et ma douleur au grand jour car je ne suis “que” sa petite sœur. Alors j’intériorise, ou alors j’écris mon mal-être, j’écris ma souffrance, je partage mes souvenirs et ma peine par des photos de lui. Cela me fait du bien de parler de la personne qu’il était, comme cela je n’ai pas à parler de ma souffrance à moi, car inévitablement cela reviendra toujours à me demander comment mes parents gèrent la leur. Si je suis suffisamment présente pour eux. Sauf que je ne peux pas admettre que je ne le suis pas. Je ne le suis plus. Je n’en suis plus capable. Je ne suis désormais disponible que pour moi et j’en ai honte. Alors je refoule tout.
Mon grand frère me manque atrocement. Presque cinq mois après, je me rends compte que je ne m’en relèverai jamais. Je pensais pouvoir surmonter cette épreuve mais la plaie est trop profonde. Le manque est trop présent. Il y a un mot et une expression que je n’arrive plus à prononcer, désormais. Le mot qui commence par S et l’expression “il est…”. Je préfère dire “il s’est envolé” ou “il est parti”. C’est plus facile à sortir de ma bouche. Le premier mot est trop violent. Le dire, le prononcer, équivaudrait à accepter ce qui s’est passé. L’expression est également trop violente. Trop… vraie. Je ne peux pas associer ce verbe au nom de mon frère dans la même phrase. Je n’y arrive pas.
Mon frère est un être tellement bon, tellement humble. Il avait choisi de mettre sa vie au service des autres. De protéger et servir. Y compris sa petite sœur, depuis que nous étions petits. Lui a su me protéger lorsque j’en ai eu besoin mais je n’en ai pas été capable lorsque ce fut mon tour.
On m’a arraché une moitié de ma personne, une moitié de mon cœur… une moitié de mes souvenirs. Y compris les souvenirs futurs. Qui sera mon témoin de mariage ? Pourquoi une chaise restera-t-elle vide à Noël ? Que dire à mes futurs enfants ? Que faire, sinon me contenter d’imaginer à quoi auraient pu ressembler mes futurs neveux et nièces ? Ces interrogations me hantent chaque jour car je ne sais tout simplement pas comment gérer tout ça.
La solitude me pèse, me recouvre, toute entière, comme un manteau trop épais et trop chaud en plein été.
Comment me reconstruire après ça ? Comment supporter cette solitude après que tu sois parti si brutalement ? Pourquoi n’as-tu pas pensé à moi, juste une dernière fois, avant d’appuyer sur la détente ? Pourquoi n’as-tu pas vu que je t’aime plus que ma propre vie et que j’aurais fait n’importe quoi pour toi ? Tu m’as volé mes souvenirs et ma vie future mais malgré ça, je n’arrive pas à t’en vouloir car je t’aime. Plus que tout.
Le souvenir que je garde si précieusement dans un coin de ma tête, c’est toi, en train d’embêter ton chat et le mien, avec un masque effrayant posé sur ton visage, pendant que je filme parce que cela me fait rire. Tu m’as apporté tellement de bonheur. Je t’aime jusqu’à la Lune et au-delà.
Ta petite sœur
Ce soir tu me fais pleurer à chaudes larmes. J'ai perdu mon frère d'un cancer il y a quatre mois. On était très fusionnels tous les deux.
Aujourd'hui, j'ai l'impression parfois d'avoir fait mon deuil car j'essaie d'apporter mon soutien à ma mère pour qui c'est le décès de trop dans sa vie (mon beau frère s'est suicidé il y a quelques années).
Je voudrais aussi aider mon neveu qui est dans un gros creux de vague. C'est difficile de vouloir booster les autres alors qu'au fond de moi je ressens le manque.
Merci pour cette belle lettre pleine d'émotions.
Votre récit m'a fait remonter beaucoup d'émotions, beaucoup de phrases qui me parlent tellement, je compatis à votre extrême souffrance; j'ai perdu mon petit frère il y un an. Les mots vide, solitude me parlent; je ressens aussi comme vous ce que vous avez écrit : "tu m'as volé mes souvenirs et ma vie future mais malgré cela, je n'arrive pas à t'en vouloir car je t'aime".
Un frère qui vit l'insupportable souffrance de l'absence et de la culpabilité.
Je vous souhaite de trouver l'endroit, le temps, l'espace pour exprimer vos émotions, les faire sortir.
Bien à vous
J'ai l'impression d'avoir écrit ce texte tellement je me retrouve dans tes mots, tes émotions, ta complicité avec ton grand frère, le manque extrême que tu ressens, et ce vide si puissant que rien ne peut combler.
Merci pour ton témoignage. Je te comprends tellement. Plein de courage.