
C’est l’histoire d’une descente aux enfers, celle d’un fils et d’une mère. Le fils n’est plus là alors c’est la mère qui prend la plume, mais c’est lui qui raconte. Et là résident l’étrangeté et la force d’un livre qui fait parler un mort. Qui d’autre qu’une mère pourrait accomplir cet exploit : faire raconter à son enfant ses derniers moments, les derniers tourments de sa vie ? Même si depuis le début on ne connaît que trop l’issue pour ce jeune homme en proie à des angoisses insurmontables qui tombe dans l’alcoolisme et les drogues, chaque page est une découverte et se dévore sans attendre.
Au fil des pages, on découvre ce combat inégal d’une mère courage qui refuse la fatalité et lutte de toutes ses forces pour sauver son enfant, pour lui obtenir des rendez-vous avec les meilleurs addictologues de Paris, pour le faire interner quand il n’y a plus d’autre solution. Qui lutte jusqu’au moment où les nuits d’angoisse ont raison de sa propre santé, où elle sent qu’elle doit protéger son autre enfant, où l’épuisement la guette, où elle doit passer le relais au père de son fils tourmenté.
Rien n’y fera. La complicité entre une mère et son fils, même hors du commun, a ses limites. Avec une lucidité stupéfiante, l’auteure fait dire à son fils: “Une marionnette. Voilà ce que je suis devenu. Un pantin, un guignol dont Maman, en coulisse, tire les fils à sa guise, en fonction de ce qu’elle estime être bien ou non pour moi.” La mère en viendra, elle, à douter de l’honnêteté de ses sentiments : “Je t’aime donc je te veux vivant… Quel égoïsme.”
C’est à cette partie faussée dès le départ que nous assistons au cours du récit. Car comme l’affirmera un psychiatre : “Quoi qu’il fasse endurer, vous ne le désaimerez jamais”. C’est également à la rébellion d’une mère que nous prenons part, rébellion contre la psychiatrie : “Est-ce ainsi que l’on pratique la médecine psychiatrique dans notre pays ? L’exclusion des parents ferait donc partie de la thérapie ?” Voire rébellion contre Dieu, en désespoir de cause : “Si Dieu existe, j’espère qu’il a de bonnes excuses”.
Muriel Keuro écrit cash, un parti pris qu’elle annonce dès le prologue : “Le regard que je porte sur le garçon et le fils qu’il a été correspond à la perception que j’ai eue et ai toujours aujourd’hui de ses ressentis. Il s’agit juste de ma vérité. Elle n’engage que moi, et moi seule.” C’est bien votre droit, d’auteure et de mère.
Pierre L.
Présentation de l’éditeur
“Je suis mort le mercredi 27 novembre 2019, à moins que cela soit le 26, le médecin légiste n’a pas été formel. L’acte de décès établi par l’officier d’état civil porte froidement la mention : “Décès constaté le 27 novembre 2019, dont la date n’a pu être établie. Le corps a été retrouvé en son domicile.” Le mois dernier, j’avais pourtant tenté de vous prévenir : “Un jour, je vais me foutre en l’air, et vous me retrouverez tout sec étendu sur le sol.”
Ainsi commence le récit posthume d’Arnaud, vingt ans, retrouvé sans vie dans sa chambre de bonne. En lui prêtant sa voix, Muriel Keuro témoigne du combat de son fils contre la mélancolie. C’est aussi un livre sur les addictions et le drame vécu par les parents qui voient se fermer les portes des médecins dès lors que leur enfant est majeur.
Un récit choc qui dit l’impuissance d’une mère face à un fils qui ne veut plus vivre.
Je lis assez peu de livres de parents endeuillés. Mais "Ne rentre pas trop tard" est celui qui m'a ému le plus profondément. C'est un partage qui permet de mettre en lumière des souffrances taboues que l'on veut trop souvent nous faire taire.