Quand Denise écrit à Chachane
Même quand il était directeur de Charlie Hebdo, le petit Stéphane demandait à sa mère, Denise, de lui corriger ses fautes d’orthographe. Parce que Denise, elle ne rigole pas avec l’orthographe et quand, en janvier 2019, elle reçoit l’ordonnance du tribunal de Paris et qu’elle dénombre treize erreurs dans les quatre-vingt-dix-sept premières pages, ça la met en colère.
La colère de Denise est immense, aussi immense que son chagrin. Ce qui la met aussi en colère, Denise, c’est ceux qui accusaient son fils de mettre de l’huile sur le feu et aussi ceux qui ont décidé d’alléger le service de sécurité qui aurait dû mieux protéger le journal situé alors rue Nicolas–Appert.
Pour tenter d’apaiser son chagrin et sa colère, Denise écrit une lettre à son petit garçon, à son Chachane, à son petit bonhomme. “Tu sais quel âge il a ?”, demande Michel, le père de Stéphane, le mari de Denise. Charb n’a plus d’âge, il est devenu un symbole, celui de la liberté d’expression. Aux yeux de sa mère, il est toujours cet enfant tendre, farceur, drôle, qui lui demande si c’est mardi gras le jour où elle se fait un chignon au lieu de laisser tomber ses longs cheveux, ce gosse qui s’intéresse à tout, qui écoute les Pogues et Bobby Lapointe, qui passe ses journées à dessiner depuis qu’il a découvert Cabu dans Récré A2.
Michel va au cimetière saluer son fils, Denise reste pour lui écrire cette lettre, une lettre signée Denise Charbonnier, avec Liliane Roudière, une Lettre à mon fils Charb qui parait chez JC Lattes. Une lettre de cent soixante-douze pages sans fautes d’orthographe, mais qui la laissera inconsolable et en colère puisque son gamin qu’elle aime tant ne pourra jamais lui répondre. Charb est mort et c’est un contresens absolu. Il n’y avait pas plus vivant.
François Morel (Siné mensuel, juin 2021)