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Le frère qui reste

Le frère qui reste, c’est ainsi que Camille de Toledo nomme le cadet après le suicide de son aîné, dans son livre “Thésée, sa vie nouvelle”. Après ce premier drame personnel, l’auteur a dû affronter les décès précoces de son père et sa mère en quelques années seulement. Il nous entraine dans une sorte d’enquête généalogique pour trouver le sens des peurs qui submergeaient son frère, alors que ni l’un ni l’autre n’en identifiait les origines. En effet, plusieurs générations d’ascendants avaient été touchées par le décès prématuré d’un frère, d’un fils ou d’un père. La société “moderne” enjoignant de faire table rase du passé douloureux, certaines peurs ont persisté au sein de la famille.

Ce livre est passionnant à divers titres : la quête de sens dans laquelle nous embarque l’auteur à travers les transmissions intergénérationnelles, les synchronies, et les liens avec le contexte de la société qui impacte chaque génération. Son regard masculin et sensible se focalise sur les hommes de la famille et leurs fragilités. “J’ai été contraint de replonger dans ce temps absurde et amnésique des Trentes Glorieuses puis j’ai dû retraverser la guerre, jusqu’aux tranchées de l’autre siècle, plonger dans les eaux du temps, éclairer les mensonges dont nous sommes les enfants.”

Camille de Toledo a combiné dans ce livre ses éléments autobiographiques associés au mythe de Thésée, celui qui tua le Minotaure en suivant le fil d’Ariane. Thésée est ainsi le prénom du frère qui reste. Celui-ci tente d’abord de quitter le pays de cette triple perte pour se reconstruire. Mais les douleurs le rattrapent dans son propre corps, sans cause médicalement identifiable. “…depuis, ses os sont de sable et le chagrin défait la forme qu’il croyait avoir prise en détruisant, grain par grain, ses défenses ; il se dissout dans la nuit, doute de recouvrer un jour une vie possible ; son aîné lui a volé sa place de second, Jérôme mort est désormais bien plus jeune que lui ; et les peurs de sa lignée, après avoir pesé sur son frère, se sont mises à fondre sur lui…” Il remonte alors le fil de l’histoire familiale, située avec pertinence dans le contexte sociopolitique de chaque génération.

Peu à peu, une compréhension émerge de ce que chacune a subi, à la fois comme drames et injonctions à les dépasser. Thésée ose alors s’adresser plus longuement à son frère décédé, par des paroles touchantes, empreintes de maturité et de consolation. “En regardant les dates sur ta tombe, dit Thésée, je me suis rendu compte que je suis de dix ans ton aîné maintenant ; accepte donc que je puisse te transmettre ce que j’ai appris ; bien sûr, il n’est pas anodin de reprogrammer une généalogie ; mais avoue que tu l’as cherché ; je suis plus vieux que toi désormais et je sais les prières… accepte que je puisse te parler comme si tu étais le second, toi qui auras toujours trente-trois ans ; j’ai appris des choses terrestres qui ne te concernent plus.”

Et pour conclure
“… s’il y a un sens à trouver dans nos corps-mémoire, … je nourris l’espoir que… nous accepterons de nous voir, nous, je veux dire, notre espèce,… comme d’humbles ignorants face à une matière qui sait infiniment plus que nous. Ce sera alors le début d’une autre histoire, celle d’un avenir relié, réattaché.”

Pour écouter Camille de Toledo parler de son livre “Thésée, sa vie nouvelle” sur France Culture :
– https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-culture/rentree-litteraire-tome1
– https://www.franceculture.fr/emissions/par-les-temps-qui-courent/par-les-temps-qui-courent-emission-du-mardi-10-novembre-2020

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