Mémoire Vivre
Une actrice se penche sur son passé avec grâce et légèreté. Actrice “d’avant-garde” et pourtant discrète. “Je date d’une époque l’on était assez dilettante sur son image.” On la sent détachée du superficiel.
Bulle Ogier, telle un papillon, plein de délicatesse, d’intimité partagée, de gentillesse, de modestie nous fait partager son spleen mélancolique, drôle, et triste à la fois. Un impossible retour en arrière, cependant, telle est la libellule, qui a le don de ne reculer jamais.
Je l’imagine, cette libellule, posée si légèrement en affleurant de ces pattes cette eau si calme en apparence. Car si elle a connu de grandes heures inoubliables auprès d’hommes et femmes de théâtre et de cinéma (Rivette, Chéreau, Duras, Rohmer, Seyrig, etc.), elle n’en a pas moins connu de plus sombres. “J’ai poussé un énorme cri. Le cri de Munch.”
Sa fille Pascale, actrice comme elle, est morte à 25 ans à l’orée d’une carrière qui s’annonçait prometteuse. Elle l’accompagne encore aujourd’hui et Bulle nous confie qu’elle a continué à travailler, à jouer et que c’est cela qui lui a sauvé la vie.
“Durant les années après la mort de Pascale, ce n’est pas vrai qu’on sort de la douleur, on la dissimule simplement mieux, ce qui exige un effort permanent.”
La culpabilité est ce qui la dévore depuis toujours. “Il n’y a pas de raison de se sentir coupable. C’est une sensation comme la peur, elle se passe de motif, elle peut s’agripper à n’importe quoi. Il pleut. Ce doit être ma faute.”
Elle ne répond à aucune lettre après la mort de Pascale : “Je n’étais pas en l’état, je n’ai pas pu les ouvrir, ni les lire, mais je les ai précieusement conservées“.
Bulle Ogier évoque l’explosion, la contraction-dilution du temps. Elle évoque aussi la main de Patrice Chéreau, alors directeur du théâtre des Amandiers à Nanterre, qui la poussait pour entrer en scène, ainsi que “ses mots, ses trois mots parfaits” qui avaient le pouvoir de lui permettre de continuer à jouer et de tenir après la mort de Pascale, alors qu’elle n’était plus en vie mais en survie. Ce théâtre fut comme le lieu de la plus grande exaltation, du plus grand bonheur, celui de l’utopie existante et se transforma en un endroit qui a capitalisé la souffrance mais auquel elle tient et qui aimante.
Ce livre d’amour à ses amis, son mari, ses filles est paisible, tendrement impudique et glaçant à la fois. Ses filles ? Pascale, qui revient gaiement comme une personne vivante et Emeraude qui a réalisé un livre émouvant sur sa sœur.
L’ouvrage révèle d’autres émerveillantes facettes de ce diamant magique, comme au milieu d’une nuit de la pleine lune.
Yves C.