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Les parents endeuillés avaient tous des choses à dire, pas qu’à moi, au monde

IMG_5998Après « Et je choisis de vivre » réalisé par le tandem Nans Thomassey, Damien Boyer, c’est au tour de la jeune réalisatrice Caroline Conte et de son ami caméraman, Thomas Robin, de tourner un film sur les parents en deuil qu’on pourra voir début 2020 sur France 2. Nous avions relayé l’appel à témoigner que Caroline avait adressé à Apprivoiser l’Absence et des dizaines d’entre vous y aviez spontanément répondu. Alors qu’elle est sur le point de terminer le tournage de son film, Caroline Conte fait avec nous ici le point de cette aventure qu’elle mène avec une incroyable ténacité et la volonté chevillée au corps de réussir un film qui témoigne au plus près de ce que vivent les parents endeuillés et dans lequel chacun d’entre nous pourra se reconnaître.

Comment vous est venue l’envie de tourner ce film ?
Caroline Conte : Quand j’avais 14 ans, mon ami Quentin est décédé dans un accident de voiture. Je suis restée très proche de ses parents que j’ai vus de plus en plus isolés. Les gens ne savaient pas quoi leur dire alors ils se sont éloignés. Après la mort de leur fils, ils se sont retrouvés seuls.
Quand je suis devenue journaliste, j’ai eu envie de faire un documentaire pour donner la parole aux parents endeuillés, tenter de les aider, eux et leur entourage. Je voulais que les parents puissent donner quelques clefs sur les manières d’être avec eux. Et puis, il y a trois ans, j’ai raconté mon projet de documentaire à mon ami Thomas, caméraman. Il m’a tout de suite dit qu’il voulait faire ce film avec moi. Je ne le savais pas mais je l’ai appris ce jour là, Thomas a un grand-frère, Renaud, décédé il y a 36 ans. Thomas a vu le silence étouffer sa vie et celle de ses parents.  Nous étions deux à vouloir nous battre pour ce film, nous nous sommes lancés.

Quelle idée vous faisiez-vous de ce film au moment de sa conception ?
Caroline Conte : Au début, nous voulions raconter les histoires des parents de Thomas et ceux de mon ami Quentin. Mais nous nous sommes vite aperçus que ce serait trop compliqué, nous étions trop impliqués. Nous avons décidé de chercher d’autres parents qui souffraient eux aussi du silence autour de la mort de leur enfant. J’ai d’abord rencontré l’auteure de Camille, mon envolée, Sophie Daull. J’avais lu son livre et je me suis dit qu’elle pouvait m’aider. C’est ce qu’elle a fait en me mettant en relation avec des parents qui lui ont écrit. J’ai aussi envoyé une lettre à Apprivoiser l’Absence en leur demandant de me mettre en contact avec des membres de l’association. Ils ont accepté de diffuser ma lettre sur le site. En l’espace d’un mois et demi, j’ai reçu des dizaines et des dizaines de mails et d’appels de parents ayant suivi un groupe, suivant un groupe ou simplement de passage sur le site. J’ai discuté par téléphone avec chaque parent qui avait répondu, cela a duré plusieurs mois. Puis, avec Thomas, nous avons décidé de rencontrer dix d’entre eux. Nous en avons choisi quatre, Sandrine et Jean-François, les parents de Baptiste, Katia, la maman de Soham et Claire, la maman d’Antonin.
Nous avons ensuite envoyé notre projet de documentaire à Catherine Alvaresse, qui dirigeait alors  la case de documentaires “Infrarouge”, le mardi en deuxième partie de soirée sur France 2. Elle a très vite répondu et montré son intérêt. Nous avons été très touchés. Il nous fallait alors trouver un producteur et le film était vendu. Nous avons signé en novembre dernier.

A-t-il été facile de convaincre les parents de témoigner ?
Caroline Conte : Je dirais que oui. Les parents qui ont répondu à mon appel avaient tous des choses à dire, pas qu’à moi, au monde. À leurs proches, à leurs voisins, mais aussi au boulanger, donc la télévision c’était parfait. Et puis s’ils écrivaient, en général, c’est qu’ils étaient partants. Ils ont eu le temps de réfléchir, presque un an. Certains se sont rétractés parce que des choses dans leur vie ont changé ou qu’ils ne se sentaient plus prêts. Ce n’était plus le moment. Mais quand je pense qu’en un mois et demi, j’ai reçu presque une centaine de messages je me dis qu’il y a un besoin énorme pour eux de parler dans cette société qui les met de côté.

À quel stade de la réalisation en êtes-vous ?
Caroline Conte : Nous entamons nos quatre derniers jours de tournage et le montage commencera le 9 septembre. Le documentaire sera prêt fin 2019 et devrait être diffusé début 2020. Nous avons commencé à filmer Katia et Sandrine et Jean-François en janvier et nous les avons retrouvés au fil des mois. Nous commençons le tournage avec Claire. Nous ne faisons pas que des interviews, nous filmons des moments de vie, avec leurs amis, famille, enfants.

Quelle scène déjà tournée vous a le plus marquée ?
Caroline Conte : Ce tournage est profondément marquant. Les moments que nous partageons avec les parents sont tous très forts mais je pense à deux scènes particulièrement. Quand Katia nous a montrés dans sa chambre la sculpture qu’elle a faite du visage de son fils Soham. Elle la portait contre son ventre, c’est un moment inoubliable. Les photos ne lui permettent pas de toucher Soham alors elle a essayé de retrouver l’aspect charnel avec cette sculpture. Je pense aussi au moment où Jean-François, ré-apprivoisant sa guitare dans son salon, s’est mis à siffler devant nous. Nous filmions à ce moment-là, quelle chance ! Jean-François a arrêté la musique après la mort de son fils Baptiste. Il s’y remet peu à peu mais pense être incapable de chanter à nouveau un jour. Il s’est remis à siffler, c’était la première fois. C’est un des moments les plus émouvants de cette aventure.


“Dites leur que je suis vivant” raconte l’histoire de Claire et Antonin; de Katia et Soham; de Sandrine, Jean-François et Baptiste. L’histoire de parents endeuillés qui vivent entre deux mondes, celui de leurs enfants morts trop tôt mais autrement présents, autrement vivants ; et celui dans lequel il faut bien continuer à vivre et qui enveloppe trop vite ces enfants d’un halo de silence.

Le film est sans arrêt sur un fil. Émouvant mais sans pathos. Juste dans les mots qu’on y entend, dans les silences que les réalisateurs laissent parfois s’installer. Beau aussi, dans les images, le soin apporté au cadrage. Chacun s’y retrouvera, chacun s’y reconnaîtra. Ne le manquez pas.

Voir un extrait du film >>

16 commentaires

  1. Bonjour,

    Tout ce que je lis ici fait écho, dans ma situation un peu différente, la perte brutale de mon mari suite au Covid, lors de la première vague en avril 2020, un deuil impossible. Il me laisse avec trois fils de onze à dix-huit ans.

    L'entourage, les amis sont aux abonnés absents, ne savent que dire et donc s'en vont. Un an plus tard, la page devrait être tournée.

    Comme disent vos témoins, je sais quand l'absence a commencé, mais il n'y aura pas de fin. Et en comparaison des parents, je suis seule, pas de partenaire avec lequel partager cette souffrance, le poids de l'absence.

    Il n'y a pas que les "vieux" qui sont morts, de jeunes familles ont aussi été détruites et on n'en parle pas.

    Merci de leur donner la parole aussi.
  2. En mémoire à notre Louis adoré qui a déployé ses ailes d'ange le 20 Juin 2019 suite à un gliome infiltrant du tronc cérébral... il avait 5 ans et demi.
    Ce film documentaire est juste magnifique !
    Merci aux réalisateurs d'avoir pensé à nous, d'avoir brisé le silence.
    Ses parents Fred et Marie, et sa petite sœur Jeanne.
  3. Bravo et merci pour ce documentaire. Dites à tous ces parents que je les aime comme personne ne peut le comprendre et dites à tous les autres que notre deuil est infini et que, s’il a un début, il n’a pas de fin.

    On peut comprendre les silences, mais les lâchetés, les sottises proférées sont insupportables.

    Jean-Baptiste
    (papa pour toujours de Maud)
  4. Bonsoir,

    Je suis arrivée sur Bougival un peu avant cette tragédie, les parents de Quentin portent une telle tristesse, je n'imagine pas leur souffrance. Il faut le vivre pour le comprendre.

    Merci de nous guider à mieux être présents pour tous ceux qui ont perdu un enfant.
  5. Bonsoir Caroline,
    J’aimerais savoir si dans votre reportage vous aborderez les décès de nourrissons (c' est mon cas, j' en ai perdu deux, 4 et 7 mois)
    Je suis impatiente de voir votre reportage.
    Chantal
  6. Bonjour,

    La perte d'un enfant est une souffrance indescriptible que personne ne comprend. Nous n'avons plus de repères dans notre vie, plus d'envie. Pour ma part je suis complètement déconnectée, je suis incapable de me projeter dans l'avenir. J'ai l'impression de vivre dans un monde parallèle. Cela fera un an que j'ai perdu mon fils unique.
    Il serait intéressant de prendre en compte dans votre reportage le témoignage de parents ayant perdu leur enfant unique. Merci
  7. Que dire ? Je ne saurais par où commencer car à la mort de mon enfant je savais qu’il n’y aurait pas de fin! Pas de fin à ce manque qui m’habite nuit et jour, mais envers et contre tout, j’ai réussi à survivre au bout de 3 ans de son absence, quand je suis devenue grand maman. Un don du ciel. Je dis souvent que ma petite-fille est son reflet. Le bonheur, car je sais que je ne serais plus jamais heureuse mais que j’aurais à vie plein de petits bonheurs . Ce qu’aurait voulu et ce que veut Corentin de là où il est ❣️Merci de m’avoir lue
  8. Bonjour, vous avez exactement compris ce manque de communication sur la détresse de notre chagrin et le vide autour de nous ! Je viens de prendre connaissance de votre projet et je suis déçue sinon je vous aurais bien contactée. J'ai puisé dans mon chagrin une force pour survivre et le transformer en espoir du lendemain avec l'association que j'ai créée 4 mois après la mort de mon fils Sébastien il y a 14 ans ! On croit qu'un jour on aura moins mal. C'est un leurre ! Très bonne continuation dans votre montage et hâte de voir votre reportage ! Marie de Savoie
  9. Aujourd'hui, 9 ans après le départ de ma fille Rachel, j ai repris le goût de la vie après ma traversée du désert. Avant il fallait que j' aille plusieurs fois par jour au cimetière. Aujourd'hui je n'y vais plus que deux fois par semaine pour nettoyer. Je ne veux pas que ma fille soit là bas, elle est à mes côtés à chaque moment. J'ai refait sa chambre, pour lui redonner vie, en laissant malgré tout des petites choses qui marquent sa présence. Nous parents endeuillés, nous vivons leur départ de façon différente en essayant de s'en sortir comme on peut
  10. Bonjour,
    C'est en effet un enfer au quotidien. Je suis en contact avec Eve la maman de Quentin depuis 2006. Vous avez eu la chance de connaître Quentin. Mon fils et lui avaient beaucoup en commun. Combien de fois nous nous le sommes dits
    Magnifique ce que vous avez fait. Enfin, quelqu'un qui parle des parents endeuillés. Nous survivons, plus d'avenir. On se raccroche à ce que l'on peut. On fait le vide autour de soi.
    Merci
  11. Bonjour Caroline
    Je vous ai déjà contactée. Je m'appelle Marie et je suis une amie virtuelle d'Eve du blog de Quentin
    Je vous ai parlé de mon fils Nicolas.
    Je voulais vous dire que je suis très contente pour vous de votre réussite
    Vous faites du beau travail
    J'espère avoir de vos nouvelles
    Amicalement Marie
  12. Amie virtuelle de la maman de Quentin, nous nous sommes connues par nos sites en hommage à nos fils puis ensuite sur Facebook où nous nous sommes parlées en privé et suivons les posts que nous mettons ...
    Moi aussi je vous avais contacté. J'aurais aimé témoigner comme d'ailleurs beaucoup d'entre nous. Alors c'est avec impatience que je regarderais votre film témoignage...
    Merci pour ce que vous faites
    Perdre un enfant reste encore tellement tabou , certaines personnes non concernées auront peut être un autre regard sur ce sujet tellement dur....
  13. Oui on se reconnait dans ces témoignages. Moi je suis la mamie de Baptiste. Il y a 13 ans qu'il nous a quittés dans un accident de la route. Depuis ce temps ma vie s'est arrêté, ainsi que pour ses parents. C'est un sacré projet que tu as eu pour Quentin et tous les parents qui ont perdu ce qu'ils ont de plus cher au monde : leur enfant.
  14. Bonjour
    Après un groupe de paroles en 2006 suite à la mort de Pierrick (âgé de 20 ans tout juste) et qui a été tellement ressourçant pour moi, je continue à parler de lui encore et toujours . Sa vie et sa mort feront toujours partie de mon chemin de vie mais je ressens toujours une telle gêne de la part de mes interlocuteurs. Je les choque parfois et j' imagine qu' ils pensent que « je n' ai pas fait le deuil » ou que "j' en sois encore là" comme si 12 ans suffisaient à rayer Pierrick de nos vies. C' est à chaque fois insupportable. Je précise que malgré tout j' ai une vie sans lui, et riche ici et là de tout ce que j' entreprends. Mais un maillon est cassé à jamais.
    Merci pour tout. Bien cordialement
  15. Bonjour Caroline,
    Je vous avais contactée. Je n'ai plus eu de nouvelles. Je suis contente de voir que votre projet va aboutir.
    J'imagine bien que vous avez eu des dizaines de réponses. Parler avec nous de notre enfant mort. Personne ne le veut. J'attend votre reportage avec impatience.
    Merci pour cette initiative.
  16. Je me reconnais dans ces témoignages, je ne chante plus je ne danse plus.
    Je n'ai aucun projet. Je n'aime plus partir en vacances, parce que je ne peux plus aller au cimetière et que j'ai l'impression d'abandonner mon petit coeur.
    La chambre de Maëva est restée intacte , il est hors de question de toucher à quoi que se soit.
    Je survis depuis 2 ans

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