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Adrien Taquet : “Nous avons tous collectivement fait du deuil d’un enfant le sujet de société qu’il mérite d’être”

L’Assemblée nationale a voté le mercredi 27 mai dernier la loi sur le “congé de deuil”. A cette occasion, Adrien Taquet, le secrétaire d’Etat à l’Enfance, a fait un court discours empreint d’humanité sur la philosophie de cette loi. Des propos qui donnaient toute leur place aux parents en deuil et aux associations. Rare. En voici les principaux extraits.

“Cet texte est né dans le fracas, un fracas à la hauteur du drame que représente pour une famille la mort de son enfant, un fracas qui n’aura eu au final d’équivalent que la dignité des familles. Ces familles qui nous ont accompagnées depuis afin que la nation, enfin, les accompagne mieux.

C’est aux familles et aux associations qui les accompagnent que nous souhaitons avant tout rendre hommage et avec lesquelles je souhaite partager cette émotion propre à ces moments où l’on ressent du fin fond de ses tripes, qu’il est synonyme de progrès humain. Elles ont compris que ce qui s’était passé loin du tintamarre médiatique n’était pas irréversible, bien au contraire, et allait être l’occasion de faire mieux. Alors elles sont venues, exigeantes, attentionnées. Elles ont été, elles restent les vigies attentives de ce que la société se doit de reconnaître et d’organiser quand l’un des siens est touché par un drame contre nature.

Il était important que la nation toute entière participe à ce geste de solidarité.

Je me souviens, nous nous souvenons tous en février dernier de ces premiers échanges que certains d’entre nous abordions avec une certaine appréhension. Ils nous ont à tous beaucoup appris mais surtout la nécessité de rester humble face à l’intime et la douleur.

(…) De ces semaines passées, de ces rencontres, de ces échanges, outre cette méthode inédite d’élaboration commune qui nous voit collectivement assumer notre responsabilité face aux familles endeuillées, je veux retenir deux choses essentielles : le deuil d’un enfant ne se résume évidemment pas à une question de nombre de jours octroyés par la collectivité. Il était important d’allonger cette période de répit que vous avez décidé de porter de cinq à quinze jours. Les employeurs y participeront à hauteur d’une semaine. La solidarité nationale prendra en charge les huit jours restants qui seront fractionnables sur un an. Parce qu’il était important que la nation toute entière participe ainsi à ce geste de solidarité. Parce que c’est la République dans son ensemble qui se doit d’être au rendez-vous avec ceux des siens qui se trouvent en fragilité. Tous les siens, quel que soit leur statut : public, privé, indépendant, agricole, demandeurs d’emploi… Chaque deuil est unique, mais les mêmes garanties doivent être offertes à tous. (…) Les dispositions de ce texte sont animées par une exigence forte que nous nous sommes collectivement fixée : tout faire pour que ne s’ajoute pas à la souffrance des difficultés supplémentaires. Accompagner le mieux possible, autant que cela est possible les familles confrontées à la douleur.

Nous avons enfin pu regarder ce sujet en face sans détourner le regard.

La seconde chose essentielle que je veux retenir et que nous n’avions pas immédiatement perçue les uns et les autres, c’est que nous avons tous collectivement fait du deuil d’un enfant le sujet de société qu’il mérite d’être. Parce que la mort d’un enfant est de l’ordre de l’inconcevable, de l’indicible. Qu’elle nous renvoie probablement à nos propres angoisses intimes qui naissent dès que naît notre propre enfant, peut-être aussi par une forme de respect pudique devant la douleur des familles, nous avons enfermé ces tragédies dans le silence collectif. Ce sont des tragédies silencieuses à nos yeux et qui pourtant hurlent aux oreilles des familles. Depuis quelques semaines, nous avons brisé un tabou, nous avons fracassé ce silence collectif et nous avons enfin pu regarder ce sujet en face sans détourner le regard.

Dans un mémoire magnifique, “La pensée magique”, la romancière américaine Joan Didion contraste le deuil tel qu’on se l’imagine et le deuil tel qu’elle l’a vécu réellement. Et elle nous dit : “Le deuil est un endroit que nous ne connaissons pas jusqu’à ce que nous l’atteignons. Dans la version du deuil que nous imaginons le modèle est celui de la guérison. Nous ne pouvons pas imaginer à l’avance le vide infini qui nous attend. Le trou béant. La succession sans relâche de moments où nous sommes confrontés à l’absence même du sens”. Il y a, nous dit ce texte, un gouffre entre le deuil tel qu’on peut le concevoir de l’extérieur et la réalité vécue de l’intérieur par une personne endeuillée. Personne ici qui ne l’a vécu ne prétend évidemment pouvoir comprendre ce que vit un parent face au deuil de son enfant, mais je crois que grâce au débat et aux échanges que nous avons eus, grâce au fracas qui a vu naître ce texte.

Je pense que oui, que nous tous et à travers nous la société toute entière ne pourront plus détourner le regard et que le voeu des familles d’être un peu mieux comprise par chacun d’entre nous pourra enfin se réaliser. Par ce texte et ces débats, nous faisons sortir de l’ombre, non pas seulement la question de la mort d’un enfant, mais des milliers de famille qui peuvent désormais espérer que le gouffre qui nous séparait hier se réduise un peu et nous rapproche un peu plus les uns des autres.

En conclusion, Mesdames et Messieurs les députés vous dire que chacun de nos enfants évidemment est différent, que chaque histoire que nous avons noué avec eux est différente, que chaque douleur est différente. Mais tous les parents endeuillés doivent pouvoir disposer du même accompagnement pour essayer d’y faire face. Si vous décidez d’adopter ce texte conforme aujourd’hui, c’est ce que vous offrirez à ces parents la semaine prochaine et vous pourrez ressentir peut-être une forme de fierté de délivrer à la société ce message d’une réalité à la fois cruelle mais porteuse d’espérance : quand on est parent, on l’est pour la vie par delà la mort. Jamais son enfant ne cesse d’être à vos côtés.”

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