Apprivoiser l’Absence a organisé le 24 novembre 2012 un atelier “Frères et sœurs en deuil” animé par Valérie Brüggeman, sœur endeuillée et psychothérapeute et par Agnès Carpentier, maman en deuil et animatrice à Apprivoiser l’Absence Paris. Plusieurs participants ont tenu à apporter leur témoignage sur cette journée.
Une journée éprouvante, mais riche et constructive
La journée du 24 fut pour moi une journée éprouvante ,épuisante, mais riche et constructive : enfin je n’étais plus seule. Il y avait des gens qui, eux aussi, avaient perdu un Être exceptionnel qu’ils n arrivaient pas à oublier, même des années après sa disparition (ce qui pour moi était une grande peur) ; non je n’étais pas anormale, mais tout simplement anéantie par la disparition de MON FRERE.
Et oui, sa présence sera toujours là, intacte dans mon coeur et, comme quelqu’un l’a si bien dit, un jour ce sera avec douceur que l’on pourra penser à eux, nos chers disparus. Mais en attendant, nous avons le droit de pleurer, de crier, mais jamais nous n’oublierons, JAMAIS.
Cela m’a donné une bouffée d oxygène et de force pour pouvoir dire à ma mère : “Mais moi aussi je souffre et j’ai le droit, tout comme toi”. Alors MERCI à vous et c’est avec une grande joie que je vous retrouverai si l’occasion se présente.
MERCI pour cette oreille prêtée. MERCI pour tous ces petits mots que vous nous avez dit. MERCI d’avoir été là.
Valérie, sœur de Frédéric
Libéré d’un stress
Cette journée m’a apporté plus que je ne pensais. Loin du cercle des alcooliques anonymes, l’ambiance s’est vite décoincée car nous avons vu que nous étions entourés les uns et les autres par des “alter-egos dans la souffrance”, des compagnons d’armes dans le deuil. Après un tour de présentation où chacun a livré son témoignage concernant le frère ou la sœur disparu(e), la psychothérapeute et nous-mêmes avons orienté la discussion sur des thèmes en lien avec le deuil en soulignant le point de vue qui était notre dénominateur commun : celui d’un frère ou d’une sœur.
Les sujets abordés étaient d’ordre général ou bien très pratiques. Nous avons donc parlé de la réorganisation familiale après le départ du proche, la nouvelle place que chacun a dû trouver, de l’absence à dompter dans la fratrie, des réactions que chacun a exprimées après le drame, de notre manière de vivre le deuil au quotidien, des premiers temps à vivre (anniversaires, Noël, etc.), des réconforts que chacun a trouvés, des menaces qui guettaient les endeuillés.
Il a été important de noter que les témoignages étaient tous très différents : certains ayant repris les rênes de la famille tant bien que mal tandis que d’autres restaient toujours sous le choc et se réfugiaient dans le déni.
Il ressort que la position particulière du frère ou d’une sœur dans le cadre du deuil réside dans la difficulté à se positionner vis-à-vis des parents et des autres dans la fratrie.
En ce qui me concerne, j’ai fait part de mon sentiment de solitude au milieu des gens qui étaient étrangers à ce genre d’évènements (fac, amis…). J’ai dit que je me sentais en territoire ennemi et que cette journée était l’occasion de se retrouver entre personnes ayant vécu des expériences différentes mais réunies autour d’un même sujet : le deuil d’un frère ou d’une sœur. Cette question de la réinsertion sociale des personnes endeuillées a touché certaines personnes qui étaient du même avis.
On aurait pu se dire que le drame que chacun a vécu ne ressemblerait pas vraiment à celui d’un autre (suicide, noyade, accident, maladie, etc.) et que par conséquent, tout le monde tournerait en rond durant cette journée en se regardant en chiens de fusil. Il n’en était rien et j’ai été agréablement surpris de l’effet bénéfique qu’a apporté cette journée. D’un point de vue général, le réconfort que procure une telle réunion est indéniable : pouvoir parler de ce sujet brûlant qui nous touche au plus profond de nous-mêmes même avec des personnes de tous bords est essentiel, pour moi, dans le processus de deuil. Confronter les expériences, les points de vue apporte beaucoup.
Et d’un point de vue plus personnel et sur le plan psychothérapeutique, je souffrais d’un syndrome de stress post-traumatique lié à la mort violente de mon frère qui se traduisait par une angoisse paralysante pendant les examens. Les psychiatres continuaient les consultations sans succès. Après cette journée, les partiels se sont très bien déroulés avec le stress normal qu’engendrent les examens mais sans anxiété plus forte. Je pense que le fait d’avoir rencontré des gens touchés par le deuil et d’en avoir parlé m’a aidé à sortir de cette bulle de peur qui m’étouffait depuis près d’un an. Je me sentais en territoire ennemi partout où j’allais en me prenant pour un extra-terrestre et ce comportement d’exclusion m’entravait de plus en plus. Ces rencontres ont brisé la solitude qui amplifiait mon stress latent. Je suis maintenant moins anxieux depuis que j’ai parlé avec des personnes endeuillées par la perte d’un frère ou d’une sœur.
Je conseille vivement à toute personne ayant vécu la perte d’un frère ou d’une sœur de vivre une pareille journée et même si l’on pense que l’expérience ne vaut pas la peine d’être vécue, il faut penser que tout ce qui ne s’exprime pas s’imprime. En parler avec des gens qui vivent la même chose que vous, la disparition d’un proche, est une occasion unique d’avancer dans son deuil, de faire part de son expérience, de témoigner, d’apprendre, de confronter.
Merci beaucoup pour cette journée.
Pierre, frère de Jean
Une seule journée ne suffit pas
Je me suis réveillé, ce dimanche matin, en entendant ma mère en pleurs : “Nicolas est mort, là-bas, en Australie”, m’a dit mon père. J’ai fait demi-tour et je suis revenu dans ma chambre. Je n’ai pas voulu comprendre. Ou je n’en étais pas capable. Mais tout a changé depuis ce jour.
Mes parents voulaient que j’aille voir un psy mais j’ai refusé. Je ne considérais pas avoir quelque chose à dire à quelqu’un qui n’avait probablement pas connu la même chose et qui ne m’écouterait pas comme j’en aurais besoin. Mes autres frères qui y sont allés n’ont eux-mêmes pas été satisfaits de l’écoute qu’ils ont eue.
Puis mes parents sont allés régulièrement à un groupe de parole, avec d’autres parents en deuil. Ils ont pensé que je devrais y aller aussi, lorsqu’ils ont entendu parler de cette journée proposée aux frères et sœurs en deuil. Ma mère a longuement insisté pour que j’y aille, alors que je refusais d’y aller, de parler de ça à des gens que je ne connaîtrais pas… Ce sont les messages d’un jeune, qui y allait aussi, qui m’ont convaincu. Et puis je me suis retrouvé au milieu de ces personnes de tout âge, qui avaient connu plus ou moins récemment la même chose que moi : la perte d’un membre de leur fratrie.
Alors que j’avais peur d’y aller et de me retrouver confronté une journée durant à cet événement et des personnes inconnues, j’ai été très vite réconforté. Nous avons parlé sans retenue de ce qui s’est passé pour chacun de nous. Je me rends compte aujourd’hui que ça m’a servi d’y aller. D’entendre que nous ne sommes pas les seuls, d’entendre parler les autres de ce qu’ils ont fait pour s’en sortir ou non. Ces autres frères et sœurs, qui ont vécu la même chose, ont su me comprendre et m’aider, et j’espère leur avoir rendu la pareille.
Cette journée, qui fut certes éprouvante, m’a semblé nécessaire face à ce que nous avons vécu. J’espère que d’autres journées seront organisées, car une seule ne suffit pas pour (tenter de) surmonter la mort d’un frère ou une sœur, et nous avons encore beaucoup de sujets à aborder ensemble, ceux qui étaient là le 24 novembre, et ceux qui nous rejoindront la prochaine fois.
Félix, frère de Nicolas