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Vivre avec nos morts

Un petit livre précieux, un précis de consolation, une fenêtre ouverte sur la manière d’appréhender les survivants que nous sommes lorsqu’ils sont confrontés à la mort d’un proche, parent et/ou enfant, frère/sœur quand il s’éloigne…

A travers des paroles apaisantes, avec une présence douce et humaine, d’un rafraichissant et lumineux apaisement, cette femme rabbine nous montre que ces êtres, aussi disparus qu’ils soient, physiquement autant que cérébralement, sont encore là, ici et maintenant, par l’éloge qui leur est rendu. En rappelant que les morts sont encore vivants parmi nous, que notre devoir est de raconter leur vie pour les garder vivants en nous, nous sommes leurs obligés. Dans certaine situations de la vie nous sommes inconsolables, mais nous avons le devoir d’essayer de consoler ceux qui sont autour de nous : la mort est ainsi constamment en dialogue avec notre vie.

La fin d’une vie nécessite de la ritualisation afin de pouvoir s’accrocher à plus grand que soi ; nos traditions religieuses ou pas, racontent quelque chose qui était là avant nous et qui sera après nous. Dans un moment où tout s’effondre dans notre vie individuelle, le rite devient un pilier qui nous ancre à plus grand que nous et qui peut nous aider à nous relever. “Quand vous êtes rabbin dans une cérémonie, vous incarnez une tradition et vous ne devez pas vous effondrer. Mais tout le paradoxe est que vous ne pouvez parler juste que si vous êtes pleinement connecté à votre humanité, donc à votre propre vulnérabilité. Il vous faut trouver un équilibre subtil.”

Delphine Horvilleur nous décrit son rôle : trouver des mots et connaître les gestes que l’on se doit de prononcer au moment où survient la mort. Elle se tient aux côtés de femmes et d’hommes qui au moment charnière de leur vie ont besoin de récits via des histoires ancestrales, elle crée des ponts entre les temps et les générations entre ceux qui ont été et ceux qui seront. Nos récits sacrés ouvrent leur passage entre les vivants et les morts Le rôle d’un conteur est de se tenir à la porte pour s’assurer qu’elle reste ouverte, que circulent les airs afin que se croisent les vivants et les morts.

Si, comme moi, vous découvrez et lisez le livre de Delphine Horvilleur vous saurez que, même si vous n’êtes pas persuadés de l’existence de Dieu, d’un Dieu, de Dieux, vous mesurerez l’humanité bienheureuse qui se dégage de ses écrits et paroles bienveillantes. Ce livre est celui de la vie célébrée, la vie de ceux qu’on a connus, fait avéré face à la mort ; l’après, imaginé, pensé, rêvé, mais indéfinissable, inconnu, flou, aussi faut-il offrir des récits pour faire gagner la vie, ne pas laisser le dernier mot à la mort, il faut investir dans la vie, se soucier des vivants beaucoup plus de ce qui se passera ensuite.

Quand les gens meurent, ce n’est jamais de leur fin ou de leurs tragédies qu’il faut parler, mais de la vie et de la façon dont ils l’ont célébrée. Tenir la mort à distance ! Ne pas être fasciné par elle. S’il y a un monde que la mort ne peut pas toucher, c’est celui des mots. Le propre de la mort est qu’elle ne se raconte pas : ce qu’on peut raconter, c’est la vie. Quand quelqu’un meurt et qu’on doit raconter sa vie, on fait un sacré pied de nez à la mort. Le propre de l’homme est sa capacité à raconter des histoires et à se raconter des histoires. Avec ce rôle de conteuse, Delphine Horvilleur se veut “retisseuse” de liens, “rapiéceuse” de lambeaux.

Elle nous dit que la laïcité est une bénédiction qui lui permet d’exercer sa fonction d’accompagnante dans un langage particulier – qui est celui du judaïsme – mais qui est là pour raconter quelque chose d’universel, forme de transcendance, promesse d’infini. Dialogue, profondeur, légèreté, humour dans sa vie personnelle lui permettent d’exprimer le paradoxe de la vie, la conscience de notre vulnérabilité et paradoxalement la condition de notre durabilité.

Lisez ce livre d’une femme dont la fonction est, à sa manière, d’apprivoiser l’absence avec la sagesse, l’esprit, l’émotion, l’humour de son vocabulaire. Il incite à approfondir notre réflexion sur les bienfaits des paroles apaisantes semeuses d’espoir pour nous parents, frères ou sœurs.

Yves C.

Ecouter l’intervention de Delphine Horvilleur sur France Culture en mars 2021 >>

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