“Une amie de la famille” est le premier récit de cet auteur levant délicatement le voile sur la mort de sa sœur cinquante ans après (voir notre fiche de lecture). Ce récit a suscité de nombreux courriers et témoignages dans son entourage proche et dans celui de sa défunte sœur Annie. Puis, les personnes se sont manifestées auprès de lui, et racontent leurs souvenirs avec elle, mais aussi ce que sa mort a éveillé chez eux. L’auteur rend alors hommage à toutes ces personnes qui lui sont familières autant qu’à Annie.
Trois ans après “Une amie de la famille”, “La vie des morts” en est le prolongement naturel. Jean-Marie Laclavetine s’adresse directement à sa sœur, qui, le 1er novembre 1968, s’est faite engloutir par une vague devant la grotte de la Chambre d’Amour à Biarritz. Il lui raconte ce qu’a été sa vie sans elle et surtout ces différentes rencontres qu’il a faites : les membres de sa famille, des personnes qui ont aussi été proches d’Annie.
Ces jeunes gens font partie de ce que je veux te raconter. Je peux même te dire que l’un d’entre eux est à l’origine du désir que j’ai eu de t’adresser ce post-scriptum.
C’est l’occasion pour l’auteur de partager ses sentiments et sa vie sous une forme autobiographique et de rencontrer les témoins de son histoire, après la publication de son premier récit. Il va même jusqu’à faire la connaissance de l’un des intervenants qui avait tenté de sauver Annie de la noyade. Ce moment-là lui a permis de préciser et raviver tout ce qui était resté enfoui en lui pendant toutes ces décennies.
Il nous révèle la puissance prodigieuse de la littérature qui fait sauter toutes les barrières, toutes les cloisons entre les êtres. “D’où vient le bonheur que nous ressentons à la lecture d’histoires tristes ? Tous les beaux livres le sont, et nos lectures les plus chères sont baignées de larmes.”
Il parle à sa sœur dans le présent, comme s’ils dînaient ensemble. Il lui présente d’autres personnes disparues, il parle d’elle et d’eux. Il lui reconstitue une cour d’amis. Les personnages restent toujours vivants. La littérature est victorieuse de la mort : “Chacun fait ce qu’il peut, et convie l’univers. Il ne s’agit pas de s’exhiber, de provoquer, de s’apitoyer, de se mettre en avant. Ecrire, c’est tenter de saisir en soi ce qui est plus précieux que soi, et de le partager. (…)
A ceux qui m’ont demandé si la rédaction de ce livre avait apaisé la douleur de la perte, j’ai dû répondre que non, bien au contraire : tu es plus réelle, plus vivante que tu ne l’étais avant que je n’entame ce travail, et tu me manques d’autant plus aujourd’hui. La littérature, décidément ne soigne rien. Elle se contente de nous rendre vivants. (…)
Grâce à elle, les fantômes errants reprennent chair et couleurs, les fenêtres s’éclairent, on entend de nouveau les voix et les chants qui s’étaient éteints. (…)
Et puis ça continue. Tu es là sans être là, les jours s’ajoutent aux jours, les nuits aux nuits, les morts aux morts. Car tu as été la première d’une très longue liste. La première ? En vérité, non, tu ne l’étais pas… Notre frère Michel, deuxième de la fratrie…”
Et c’est à l’occasion de son dévoilement à propos de la mort de sa sœur Annie qu’une tante rappelle la mort d’un autre frère. Sa vie a été courte tout autant son évocation.
“Ce que nous perdons dans l’absence de l’autre, ce n’est pas seulement un Être cher, c’est un moment de nous-mêmes que nous ne retrouverons jamais. Si tu devais revenir en septuagénaire, je ne te reconnaîtrais sans doute pas et peut-être t’en voudrais-je de ne pas être celle que j’ai perdue. Je ne suis pas, moi non plus, celui que tu connaissais, ni celui que j’aurais été si tu n’étais pas morte. Ta disparition a modifié inéluctablement la trajectoire de ma vie – pas seulement de la mienne – et ton absence m’a façonné au fil des ans, comme elle a façonné tous ceux qui t’ont approchée. Les jours filent Annie. Je vieillis et tu restes jeune.”
Valérie B.