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Apeirogon

En deuil de leurs filles, un Israélien et un Palestinien choisissent de s’unir. La vie, la mort, et un même désir de témoigner au milieu du chaos. Le romancier irlandais, Colum McCann, bouleverse avec son dernier roman, Apeirogon.
Nous voici ébahis devant ce livre tourbillonnant, ce roman où la forme et le fond s’unissent de manière exceptionnelle, où la réalité et la fiction se nourrissent et se fragmentent encore et encore. Dès l’abord, le titre, Apeirogon — figure géométrique au nombre infini de côtés —, donne sa dimension cosmogonique à l’histoire. Au cœur, Colum McCann a placé deux pères, Rami et Bassam, un Israélien et un Palestinien, en deuil de leurs filles. L’une, Samdar, 13 ans, est morte à Jérusalem lors d’un attentat suicide. L’autre, Abir, 10 ans, a été tuée alors qu’elle sortait d’une épicerie à deux pas de l’école.

Ces pères, un ancien soldat et un ex-terroriste, auraient pu crier leur haine, mais ils choisissent de s’unir dans la peine comme dans le désir de témoigner au milieu du chaos. “Nous ne parlons pas de la paix, nous la faisons”, répètent-ils lors de conférences en salles de classe. Constamment, l’auteur revient sur les meurtres des fillettes, comme un leitmotiv. On entend le bruit de l’explosion qui transforme la rue en boucherie. On voit la petite Abir en uniforme d’écolière, le bracelet de bonbons autour du poignet, juste avant que la balle ne pénètre dans sa nuque… En fait, Rami et Bassam ne sont pas des personnages imaginaires. Au milieu du livre, Colum McCann leur donne la parole, et la force du témoignage permet d’éviter la tentation mélodramatique d’une pure fiction.

Jorge Luis Borges n’est jamais très loin, dans ce texte virtuose qui s’accorde toutes les permissions et flirte avec une littérature expérimentale, où un récit en entraîne un autre. Aucune difficulté toutefois pour suivre les pensées flottantes du narrateur. Du cou fragile d’Abir au vol d’un oiseau migrateur, l’expérience de lecture est bouleversante. La musique de la phrase, l’émotion enfantine, le goût d’un Coca-Cola au fond d’une prison, la peur du noir, la mort au détour d’une rue… les motifs tournent comme un manège de fête foraine. Il faut se laisser porter par les témoignages, dessins, photos et récits pour toucher au plus près le génie littéraire de ce romancier irlandais. Il nous avait déjà épatés avec, notamment, Les Saisons de la nuit (1998) puis Et que le vaste monde poursuive sa course folle (2009). Avec Apeirogon, il signe son œuvre la plus ambitieuse.

Critique de Christine Ferniot publiée par Télérama

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