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Et je choisis de vivre

Récit de la création d'un beau film sur le deuil

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La naissance du documentaire “Et je choisis de vivre” est une véritable histoire en soi, tant il est difficile en France de monter, financer et distribuer un film sur le deuil. La formidable énergie de ses créateurs a pourtant fini par payer. Rencontre avec Amande Marty, Nans Thomassey et Damien Boyer, les trois auteurs, qui ont fait de ce film un véritable hymne à la vie.

Ils sont trois trentenaires. Elle, Amande Marty, maman d’un petit Gaspar décédé la veille de son premier anniversaire. Eux, Nans Thomassey (réalisateur) et Damien Boyer (coréalisateur et producteur), prêts à la suivre dans cette aventure folle : réaliser un film sur cette tragédie. Une gageure, tant rien n’est donné quand on se lance dans un tel projet. Car si le deuil est l’expérience de vie la plus partagée, c’est aussi un sujet tabou. Quatre ans plus tard, ils ont pourtant relevé tous les paris. Leur film Et je choisis de vivre vient de sortir en salles (5 juin 2019). Surtout, ce documentaire sur le deuil d’une mère est une oeuvre lumineuse, subtile et émouvante, un véritable hymne à la vie. Les spectateurs qui la plébiscitent ne s’y trompent d’ailleurs pas. Récit de la création d’un film par celle et ceux qui l’ont porté au plus profond d’eux-mêmes.

Comment l’idée de ce film a-t-elle germé ?
Amande Marty : Gaspar est décédé la veille de ses 1 an le 9 avril 2015. Deux mois et demi après, je suis allé voir mon ami Nans Thomassey en lui demandant s’il était d’accord pour m’accompagner à rencontrer des personnes qui avaient vécu la même chose que moi et pourraient me dire qu’ils avaient traversé la partie la plus douloureuse de leur deuil, trouvé une forme d’apaisement, et étaient sortis grandis de cette tragédie. J’avais besoin de croire qu’il était possible d’aller mieux.

Comment avez-vous réagi à la proposition d’Amande ?
Nans Thomassey : J’étais hyper touché qu’elle me la fasse. Heureux aussi de la voir dans une démarche constructive pour cheminer dans son deuil. Je lui ai dit oui sans savoir ce que nous allions vivre. Quand elle m’a expliqué qu’elle voulait filmer ces rencontres pour aider toutes celles et ceux qui vivent l’expérience du deuil sans repères, ni rituels et sont perdus comme elle, ce projet a pris tout son sens.

 

Le chemin du deuil est intérieur et peut se faire n’importe où

Comment s’est imposée la forme du film, cette idée d’un périple dans les montagnes de la Drôme entrecoupé de rencontres avec des parents endeuillés…
Nans Thomassey : Amande avait une idée précise de ce qu’elle voulait. Elle m’a dit : “je n’ai pas de religion mais la nature est puissante et merveilleuse pour accueillir la détresse qui nous envahit, elle sera mon Eglise”. Elle n’avait pas envie de voyager au petit bonheur la chance en toquant chez l’habitant ou d’être mise en relation avec des sages exotiques. Elle voulait rencontrer des gens simples, comme elle, qui partageaient le même vécu. Enfin, elle ne souhaitait pas partir à l’autre bout du monde. Le chemin du deuil est intérieur et peut se faire n’importe où. En fait, elle voulait fonctionner avec des ressources locales pour, petit à petit, trouver ses ressources intérieures.

Avec ces trois piliers, le scénario était déjà écrit. Le film s’est ensuite imposé dans nos têtes : il fallait voir des paysages, des visages, des histoires différentes et, à travers ces tranches de vie, dessiner une esquisse de ce que peut être le deuil, dans laquelle le plus grand nombre de personnes possible puisse se reconnaître. A cette époque, nous avions aussi déjà l’intuition que le témoignage des parents possède à lui seul une puissance hallucinante pour parler au cœur des gens. Nous ne voulions pas que des thérapeutes interviennent, sauf le psychiatre Christophe Fauré, pour disposer d’un minimum d’apport théorique, et parce que ce type est un extraterrestre…

Les films sur le deuil sont rares et difficiles à produire et à financer, qu’est-ce qui vous a fait accepter ce projet ?
Damien Boyer : Nans est venue me voir un jour en me disant : “Damien, voilà, j’ai un film pas très sexy à te proposer, tous les producteurs disent que c’est invendable, ça parle du deuil et du deuil d’un enfant, est-ce que tu serais d’accord pour partir avec moi sur ce film que j’ai promis à une de mes meilleures amies de réaliser ?” Au-delà de la confiance amicale que nous partageons, le déclic de partir dans l’aventure s’est produit au moment où j’ai rencontré Amande. Juste après avoir perdu son fils, cette maman se souciait déjà de savoir comment les autres parents pourraient trouver des clés pour survivre. Impossible de résister à une telle puissance de générosité !

Comment-êtes vous arrivés à financer le film ?
Damien Boyer : Comme toutes les portes se fermaient, il fallait trouver une solution alternative au financement traditionnel et nous avons opté pour une levée de fonds participative. Nous avons alors tourné et monté douze minutes de rush puis organisé quinze conférences baptisées Deuil et renaissance pour faire connaître le projet. Immédiatement, nous avons été surpris par l’engouement suscité par ces conférences. Des gens de toutes les catégories sociales racontaient leur histoire, se prenaient dans les bras, s’embrassaient.

En parallèle, la levée de fonds a atteint des sommets inespérées. Avec 120 000 euros, elle est devenue la plus importante pour un film juste derrière Demain, le film de Cyril Dion et Mélanie Laurent. Plus surprenant encore, le profil des donateurs était très varié : un tiers était endeuillé, un tiers accompagnait des endeuillés, un tiers n’avait jamais été confronté directement au deuil. A ce moment-là, on s’est dit que ce film pouvait parler à tout le monde.

 

Le plus grand besoin des endeuillés est l’écoute, et il y a une grande misère de l’écoute dans notre société

Nans Thomassey : Beaucoup de personnes se livraient comme elles ne l’avaient sans doute jamais fait. Pour certaines il y avait un avant et un après. Une jeune femme nous a dit : “A l’âge de 10 ans, j’ai perdu ma sœur jumelle. Depuis je ne parle plus à ma mère. Hier, je suis allée à votre conférence, quand je suis revenue chez moi, j’ai pris mon téléphone et je l’ai appelée.” On sentait vraiment le potentiel de ces soirées où nous invitions juste des parents à venir témoigner sur scène.

Nous avons pris conscience que le plus grand besoin des endeuillés était l’écoute et qu’il y avait une grande misère de l’écoute dans notre société. Quand nous sommes revenus de cette tournée de conférences, nous étions encore plus déterminés et au clair sur nos motivations : nous voulions que plus personne ne vive le deuil de façon isolée alors que c’est l’expérience de vie la plus partagée au monde.

Etait-il important pour vous de faire un film beau dans les images, les cadrages…
Nans Thomassey : Très vite, nous avons compris que la beauté était un ingrédient essentiel pour avancer et cheminer dans le deuil, et nous souhaitions vraiment réussir à retranscrire ça avec nos images. Damien a très tôt fait de gros investissements pour acheter les caméras capables de capter au mieux les lumières, les couleurs et les sons de la nature. En post-production, nous avons aussi fait un gros travail au niveau du mixage ou de l’étalonnage pour recréer l’environnement de la nature. Nous voulions que le spectateur puisse vivre l’expérience de la beauté en regardant le film.

 

Il était important pour nous d’amener constamment de la poésie dans notre film

Damien Boyer : Nous avons essentiellement tourné pendant l’été indien dans la Drôme à un moment où la forêt est éclatante de beauté. Il était important pour nous d’amener constamment de la poésie. Depuis le début, on s’était dit qu’on souhaitait tenter de créer Le Petit Prince du deuil.

Le film démarre avec la question du deuil des parents puis évoque le deuil de façon plus “universelle”, en quoi était-ce important pour vous d’élargir le propos ?
Amande Marty : Nous avons hésité sur ce qu’il fallait montrer comme forme de deuil : celui des parents, des conjoints, des enfants… Mais ça faisait un peu panel et nous n’aurions jamais pu traiter toutes les formes de deuil de façon exhaustive. Du coup, on s’est dit que le deuil des parents serait la porte d’entrée, avec l’idée d’élargir le propos pour que chacun puisse se reconnaître dans le film, quel que soit le deuil auquel il est confronté.

Ce film parle de la mort et du deuil, pourtant la vie y est présente partout comme le suggère le titre, c’était votre parti pris de départ ?
Nans Thomassey : Oui. Depuis le début de cette aventure, c’était dans les gènes du projet. Nous voulions que ce film témoigne de la beauté de la vie. En le faisant, nous avons ressenti beaucoup de gratitude pour Gaspar qui nous a réunis, nous a permis de grandir, de nous poser des vraies questions. On voulait que ça apparaisse dans le film. La joie et le rire faisaient partie d’Amande avant, ça fait aussi partie d’elle après.

 

La plus grande peur de l’endeuillé, c’est d’oublier la personne décédée

A plusieurs reprises, vous insistez sur l’importance des rites, pourtant nous vivons dans une société où les rites se perdent de plus en plus…
Amande Marty : Plus on avançait dans ce projet, plus je trouvais qu’il y avait un lien à établir entre la naissance et la mort, et la manière dont on accompagne l’une et l’autre. Avant, on naissait et on mourait chez soi entouré de ses proches. Il y avait des veillées funèbres, les corps étaient exposés quelques jours à la vue de tous. Les amis et la famille pouvaient se rassembler et parler du défunt. Désormais, ça se passe la plupart du temps à l’hôpital, dans un espace normé et aseptisé, et ça dénature les liens avec la famille et les proches. Il faut reconsidérer la façon dont on naît et dont on meurt.

Toutes les civilisations ont mis en place des rituels pour accompagner le défunt. Ils ont progressivement disparu et, avec eux, nous avons perdu beaucoup du sens à donner à la disparition de nos proches. Je n’ai pas grandi dans la religion et je ne connais pas ses rituels. A la mort de Gaspar, nous n’avions pas de rituels sur lesquels nous appuyer pour se relier à une communauté ou vivre quelque chose d’intérieur, mais nous avions la chance d’être très entourés et nous en avons créé avec notre famille, nos amis. Je crois qu’il est important que ces rituels correspondent à la personne qui est partie et à celles qui vous entourent pour avoir vraiment un impact. Dans le film, nous avons en tout cas voulu montrer l’importance de ces gestes symboliques qui permettent de se retrouver soi et les autres.

Nans Thomassey : Très vite on a compris que la plus grande peur de l’endeuillé, c’est d’oublier son enfant ou la personne décédée. Quelque part, le rituel est une manière de s’en souvenir de façon belle, joyeuse et qui intègre les autres. Il permet de lâcher un peu la souffrance pour trouver une autre façon plus grande, plus inclusive d’honorer la personne qu’on aime. Par ailleurs, quand on est submergé par les émotions après un deuil, on ne sait pas quoi en faire, elles peuvent surgir n’importe où, chez soi, au travail, et elles sont un peu encombrantes. Alors, on essaye de les contenir pour ne pas trop déborder sur les autres. Parfois, on y parvient, d’autre pas. Le rituel est vraiment cet espace où, de manière inconditionnelle, on peut se laisser aller à toutes ces émotions, elles y sont même les bienvenues, et n’empiétent sur rien, ni personne.

 

Dans une société qui cultive le mythe de l’immortalité, la mort est un gros caillou dans la chaussure

Pourquoi, selon vous, le deuil et notamment celui d’un enfant, est-il un sujet aussi tabou ?
Nans Thomassey : De la même manière qu’il n’y a pas de mot pour désigner des parents qui ont perdu un enfant, il n’y en a pas non plus pour exprimer la douleur qu’on ressent. D’où la difficulté quand on vit ce deuil, à se sentir reconnu, à pouvoir mettre des mots sur ce qu’on vit, à en mettre sur la personne que l’on est à ce moment-là.

Je crois aussi que depuis qu’on s’est coupé de la nature, en privilégiant une culture basée sur la modernité, la technologie, le confort, on est de moins en moins en contact avec la mort. La vie et la mort sont pourtant un cycle naturel et l’on a parfois tendance à occulter une partie de ce cycle. La mort est devenue une ennemie, on ne veut plus la voir. Elle nous perturbe dans ce qu’on est en train de construire. Nos villes sont en béton, elles vivent beaucoup plus longtemps que les arbres, les forêts. On est dans une société qui veut durer, être immortelle. Et dans ce mythe de l’immortalité, la mort est un gros caillou dans la chaussure.

Qu’avez-vous ressenti quand le film a été terminé ? Y avez-vous trouvé, au moins en partie, les réponses aux questions que vous vous posiez ?
Amande Marty : Oui, je peux dire que j’ai trouvé des réponses et des clés. Les témoignages des parents qui partagent leur expérience, chacun à des moments différents de leur histoire, ont vraiment été les tuteurs de résilience que j’espérais. Chacune des personnes rencontrées pouvaient comprendre parfaitement ma peine et me montrer en même temps qu’il était possible de remonter la pente. De ce point de vue, ce voyage a vraiment été initiatique. En même temps, ces témoignages ne se veulent aucunement des vérités ou une sorte de guide pratique du deuil, ils constituent juste la somme d’expériences singulières qui peuvent être sources d’inspiration.

 

Il faut faire confiance au temps, laisser les jours défiler, et prendre soin de sa douleur

Ils m’ont permis de comprendre que le deuil est affaire de patience. Il faut faire confiance au temps, laisser les jours défiler, et prendre soin de sa douleur. Il faut aussi prendre soin de soi, être présent à ce qui se passe en nous, l’observer, sans vouloir le changer ou le mettre de côté. Rester présent à soi, au corps. Le deuil est un chemin sinueux qui comporte des étapes et qui conduit à plus d’apaisement intérieur, mais il n’est pas linéaire. Il est long, semé d’embûches, souvent démoralisant, infini, et tout cela est normal !

Plus de cent cinquante avant-premières ont été organisées partout en France avant la sortie en salles le 5 juin, comment le film y a-t-il été accueilli ?
Amande Marty : Nous avons eu énormément de retours bienveillants, chaleureux, émus. Après avoir vu le film, beaucoup de spectateurs nous disaient s’être sentis remplis, reboostés, plein d’espoir et d’énergie. A Paris, une femme est venue voir Nans pour lui dire : « Votre film, c’est plus qu’un film sur le deuil, c’est un hymne à la vie qui nous invite à choisir de vivre avant que la vie nous force à le faire ». Un autre nous a dit que le film devrait être remboursé par la Sécurité sociale… Certains spectateurs nous ont aussi confié avoir eu du mal à venir le voir en raison du sujet, mais en sont ressortis heureux et transformés. Il y a un écart gigantesque entre le frein que peut représenter le sujet du film et les sentiments des spectateurs une fois qu’ils l’ont vu.

Damien Boyer : Le film a aussi été bien accueilli par les exploitants de salles. A Saintes, l’un d’eux m’a appelé le jour de l’avant-première qu’il organisait dans son cinéma pour me dire : “Je suis complètement bouleversé, je n’ai aucun rapport avec le deuil mais je me rends compte que j’avais un problème avec la mort et que j’ai envie d’y penser.” On arrive sur place, il avait placardé son cinéma de photocopies du dossier de presse, il y en avait quatre mètres carrés ! On lui dit : “Mais pourquoi tu vas si loin ?” Il nous a répondu : “C’est la première fois de ma vie que j’ai un film dans mon cinéma qui peut transformer la vie des gens, alors le film coup de cœur de l’année, ce sera celui-là.”

 

Chaque année, un Français sur quatre est directement concerné par le deuil

Le film s’inscrit dans le projet plus large d’une plateforme nationale sur le deuil. En quoi vous semble-t-elle nécessaire ?
Damien Boyer : Les grands projets démarrent souvent des frustrations, et la frustration qu’on a eue en réalisant ce film était terrible. Nous nous sommes rendus compte que le deuil était un sujet énorme. Plus de 600 000 personnes meurent chaque année dans notre pays, un Français sur quatre est directement concerné par le deuil. Et qu’est-ce qu’on fait pour aider chacun ? Une fois que vous prenez conscience de ça, vous ne pouvez plus vous limiter à réaliser un film qui sensibilise, fait du bien, mais laisse ensuite les gens aussi seuls qu’avant.

Bien sûr, il existe des associations et des thérapeutes qui font un travail extraordinaire en terme de qualité, mais le besoin est si important… Nous avions le devoir d’aller plus loin. Le film est apparu comme l’élément déclencheur, la clé d’entrée d’un dispositif plus global, visant à accompagner les personnes en deuil et ceux qui les accompagnent. Nous avons alors créé une plateforme de contenus qui a été lancée en même temps que la sortie du film, le 5 juin. L’idée est de mettre en lien tous les endeuillés qui le veulent avec d’autres personnes qui vivent la même histoire qu’eux, des associations, des thérapeutes… Il ne faut plus jamais laisser une personne endeuillée isolée, si elle souhaite ne pas l’être.

Au-delà du vécu d’Amande et de l’amitié que vous lui portiez, comment se fait-il qu’une équipe de trentenaires se passionne pour cette question du deuil ?
Nans Thomassey : Ça n’était pas vraiment dans nos plans. Juste une histoire de serendipité : une découverte heureuse après un accident tragique. L’accident malheureux, c’est le décès de Gaspar ; la découverte heureuse, la conscience que la mort est intimement liée au sentiment d’être vivant. Et je ne connais aucun jeune qui n’ait pas envie de se sentir profondément vivant. Bien sûr, les anciens ont plus expérimenté que nous l’impermanence de la vie : les pertes, les décès… mais c’est une question qui nous concerne tous. Nous sommes profondément heureux de porter ce film et le message qui va avec et nous espérons dépoussiérer un peu le deuil tout en lui rendant ses lettres de noblesse. Car si le deuil est l’expérience la plus douloureuse de la vie, c’est peut-être aussi celle qui renferme le plus grand potentiel de vie.

Propos recueillis par Olivier Milot

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