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“Avec le temps, ça ira mieux !” Qu’en est-il pour la mort de son enfant ?

Conférence d’Annick Ernoult - Paris - Décembre 2009

Lorsque l’on perd un enfant, le temps vole en éclats et l’on risque de perdre ses repères. Lors de sa conférence du 4 décembre 2009, Annick Ernoult a analysé ce phénomène et proposé des moyens d’apprivoiser ce temps paradoxal qui nous sépare de notre enfant, mais qui, dans le long terme, apaise finalement notre douleur. Avec la chaleur et la sincérité qui lui sont coutumières.


Celui qui ne respecte pas le temps marche dans l’obscurité

Proverbe chinois

Lorsque l’on perd un enfant, le temps vole en éclats. Le passé est arrêté par la mort de l’enfant. Le présent est cisaillé par l’absence. Et l’on n’espère plus rien de l’avenir. Et l’entourage, inquiet, va nous dire cette fameuse petite phrase : “Tu verras, avec le temps, ça ira mieux.”

Dans la société d’aujourd’hui, où tout doit être efficace, comment appréhender ce temps de deuil ? Cinq pistes de réflexion ont été développées :

– Le temps qui explose

– Le temps qui devient pesant

– Le temps qu’on a l’impression d’avoir gaspillé

– Le temps qui nous éloigne de notre enfant

– Le temps du deuil qui ne nous est pas accordé
C’est le temps « ennemi ».

Les petites phrases, comme “Tu ne vas pas encore mieux ?”, sont ressenties comme des jugements.
Les réactions de l’entourage sont mal interprétées : les proches manifestent leur propre inquiétude, leur malaise de voir souffrir, leur impuissance à aider.
On est mal à l’aise avec l’idée sous entendue : faire son deuil, c’est oublier. Le présent semble aller dans le sens de l’oubli. On ne retrouve plus la voix, on contemple les vêtements suspendus… Le jour où les parents comprennent qu’ils n’oublieront jamais est très important.

Comme le dit Geneviève Jurgensen, journaliste, écrivain, mère de deux petites filles disparues dans un accident de la circulation : “Les gens ne sont pas plutôt morts, les décombres ou les canons de fusil fument encore la catastrophe est à peine annoncée, les victimes ne sont pas encore dénombrées, l’épouvante commence seulement à s’épandre et hardi donc, il faut faire son deuil… Faire son deuil, c’est consommateur de temps, d’intelligence, d’égards et d’amour. On croit d’abord qu’il faut faire le deuil des murs qui furent détruits, des gens qui vous furent arrachés. Et puis c’est de soi qu’un jour on découvre qu’il faut faire le deuil. Ce soi intact auquel il faut renoncer. Faire son deuil, c’est consentir à devenir quelqu’un d’autre. Le contraire de l’évacuation, l’intégration. Avec votre permission, ce sera long.” (La Croix 29-30 sept. 2001)


Apprivoiser le temps pour en faire un “ami”

Puisqu’on ne peut pas arrêter le temps, la seule façon de faire, c’est de l’apprivoiser.

– Nous avons besoin de temps pour lécher nos blessures. Après la colère, laissez-vous le temps de la tristesse.

– On peut évoquer le temps devant un témoin ; cela revient à épingler les événements, à se lancer dans une quête pour rassembler les morceaux de ce puzzle : il faut avoir du temps pour faire remonter les souvenirs.

– On peut tenter une réécriture du temps par la parole. Si au début on n’évoque que ces souvenirs si difficiles, il va falloir du temps pour évoquer les souvenirs heureux. L’objectif est de passer du souvenir à la mémoire.

“Faire le deuil, c’est en quelque sorte apprendre à passer du souvenir à la mémoire.
Le souvenir enferme dans le passé et les regrets ; il ne tarde pas à prendre l’allure de regrets et les regrets ne tardent pas à avoir le goût du remord.
La mémoire par contre projette dans l’avenir… Faire mémoire d’un jeune, c’est se remémorer tout ce qu’on a partagé de fort avec lui et ce partage continue de nous rendre fort aujourd’hui.”
Jean-Marie Petitclerc ( “Et si on parlait du suicide des jeunes”, Presses de la Renaissance, p. 101).


Quelques moyens d’apprivoisement

– Les lieux de parole amicaux, associatifs ou professionnels.

– L’écriture pour coucher sur le papier les mots qui se bousculent. “Aujourd’hui, je suis une commode où tout est en désordre.” Ecrire, cela permet de mettre un peu d’ordre. Ecrire, c’est mettre un barrage entre le temps et soi.

– Les photos. Elles sont le témoin d’un temps qui n’est plus. Elles aident les parents à reconnaître l’enfant qui n’est plus là. Faire un album, parfois longtemps après, permet de rassembler les pièces du puzzle.

– La lecture de livres sur le deuil et de témoignages.

– La spiritualité. Tout ce qui donne du sens est bénéfique. Nous sommes seuls à pouvoir donner du sens à la mort de notre enfant.


Le temps, source d’apaisement

Quand les années se comptent en dizaines, l’absence commence à prendre doucement sa place. Il faut au moins cinq ans à la souffrance physique provoquée par l’absence pour lâcher prise. Et quelques années encore pour qu’elle laisse place à la “douce peine”, comme disent les Québécois : ce n’est plus cette peine qui laboure, qui déchire.
Il demeurera toujours une cicatrice qui pourra se rouvrir à l’occasion d’autres pertes. On reste en effet vulnérable à l’inquiétude.

Avec le temps, tout se transforme

Avec du temps et du soutien, l’absence de notre enfant peut habiter nos coeurs paisiblement. A deux conditions :

– Avoir pu travailler cette perte ;

– Avoir rencontré sur notre chemin des oreilles et des coeurs capables de nous accompagner.


Le temps ne respecte pas ce qui se fait sans lui

Proverbe chinois

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