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Patrice Baticle, nouveau président d’Apprivoiser l’Absence : “Savoir être à l’écoute et rester fédérateur en toutes circonstances”

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Patrice Baticle a officiellement pris la succession de Jean-Yves Priest à la présidence d’Apprivoiser l’Absence en octobre 2020. Ce cadre bancaire de profession connaît l’association de l’intérieur pour avoir participé à un groupe d’entraide après la mort de son fils, Maxime.

Dans cette interview, il nous parle (un peu) de lui, de son parcours, de sa vision d’Apprivoiser l’Absence et de ses projets pour notre association. Rencontre avec un homme chaleureux et volontaire.

 

Qu’est-ce qui t’a fait accepter la proposition de devenir président d’Apprivoiser l’Absence ?
Patrice Baticle : J’arrive sans doute à un moment de ma vie où la nécessité de se sentir utile aux autres s’impose à moi. La perte de mon fils agit certainement comme un révélateur sur ce point et il n’est évidemment pas étranger à ma décision. Sans aller jusqu’à évoquer la vacuité de mon existence, il est vrai que je me suis souvent dit : “A quoi tout cela sert-il ? Et moi dans tout cela ?”. Lorsque le conseil d’administration m’a proposé de prendre cette fonction, j’ai rapidement accepté. J’ai l’espoir de contribuer au développement d’Apprivoiser l’Absence, mais je sais déjà que l’association et ses bénévoles m’apporteront beaucoup également. L’engagement associatif ce n’est pas que de l’altruisme.

Comment te présenterais-tu en quelques lignes ?
PB : J’ai 58 ans, je suis marié et j’ai trois enfants. Camille qui a 30 ans, Maxime qui aurait eu 28 ans en septembre dernier et Clément qui en a 24. Je travaille dans une filiale de banque et je m’occupe plus particulièrement de financement de PME. Mon expérience professionnelle m’a permis d’acquérir, du moins je l’espère, de la rigueur et de la méthode. De plus, j’ai une culture du résultat. Comme le monde de l’entreprise, le monde associatif peut aussi se fixer des objectifs ambitieux et tout faire pour les atteindre. Mais dans le respect de l’humain et en ne sacrifiant pas ses valeurs, c’est une différence essentielle.

Comment as-tu découvert Apprivoiser l’Absence ?
PB : Je savais à peine que ce genre d’association existait. D’ailleurs, pourquoi me serais-je intéressé à ce sujet ? Y prêter attention, c’était déjà envisager d’y avoir recours un jour, ce qui était bien entendu impensable. En 2015, notre vie a basculé du jour au lendemain avec le décès de Maxime. Nous avons été orientés vers une première association, puis vers Apprivoiser l’Absence. Nous ne savions pas très exactement ce que cela nous apporterait, mais il ne faisait aucun doute qu’il fallait s’engager dans cette voie pour “essayer de nous en sortir”.

Tu as participé à un groupe d’entraide, que t’a-t-il apporté sur le moment et que t’en reste-t-il aujourd’hui ?
PB : Les premiers mois après la mort de mon fils, j’ai vécu un peu comme un étranger. En dehors du cercle familial, je vivais au milieu de personnes qui ne pouvaient pas me comprendre et que je ne comprenais plus. Et dans ce désordre, il y avait le groupe d’entraide que je retrouvais avec impatience tous les mois. J’avais l’impression d’y retrouver les miens. C’est aussi un des rares endroits où j’acceptais de laisser un peu parler mes émotions. Le groupe n’a bien entendu pas tout résolu, mais il m’a clairement mis sur le chemin de la résilience.

Apprivoiser l’Absence, organise depuis toujours des groupes d’entraide pour les parents et depuis quelques années des rencontres pour les frères et sœurs endeuillés. En quoi est-ce important que l’association propose aussi de prendre en charge les frères et sœurs ?
PB : Les frères et les sœurs endeuillés sont souvent les oubliés lors de la perte d’un enfant. Les grands parents aussi d’ailleurs. C’est un peu comme si dans notre inconscient nous établissions une hiérarchie dans le deuil. Pour les frères et sœurs, c’est un peu la double peine : ils ont perdu un être cher et ils perdent également un peu leurs parents qui ne seront plus jamais les mêmes. L’association leur donne un espace d’expression sur un format un peu plus souple que pour les parents. C’est un pan de l’activité d’Apprivoiser l’Absence que j’aimerais continuer à développer.

Quel regard portes-tu sur Apprivoiser l’Absence maintenant que tu en es président, que tu as pu rencontrer une partie des bénévoles, que tu commences à te familiariser avec le fonctionnement de l’association ?
PB : Je n’ai malheureusement pas pu rencontrer l’ensemble des bénévoles comme cela était initialement prévu mi-octobre. Dans cette association, tout le monde connaît bien son job et le fait avec beaucoup d’engagement et de sérieux. Nous fonctionnons sur des bases solides, avec des valeurs fortes et un fonctionnement avéré et éprouvé. Tant pour les groupes d’entraide fermés de parents se déroulant durant toute une année ainsi que pour les rencontres de frères et sœurs, cela représente beaucoup d’efforts de la part des bénévoles. J’ai sincèrement beaucoup d’admiration pour leur travail.

Comment conçois-tu ton rôle de président ?
PB : Chaque bénévole s’occupe essentiellement de son domaine et c’est tout naturel. Mon rôle ne consiste pas à vouloir décider de tout et à m’immiscer partout. En revanche, il peut consister à prendre un peu de hauteur pour parfois voir les choses de façon plus générale. Si je retenais deux points essentiels, ce serait savoir être à l’écoute et rester fédérateur en toutes circonstances.
De façon plus prosaïque, ma responsabilité c’est aussi de veiller à la bonne santé de l’association sur le plan financier. A ce titre, et si nous voulons pouvoir développer et élargir nos activités il nous faudra continuer à faire appel régulièrement à la générosité de nos partenaires et de nos donateurs, souvent très sollicités par ailleurs. Je m’y consacrerai avec beaucoup d’énergie car je ne veux pas que nous limitions nos ambitions par manque de capacité financière.

Qu’as-tu pensé de la loi sur le congé de deuil ?
PB : Le législateur avait tranché négativement sur ce sujet rapidement et certainement sans trop réfléchir. Il est revenu en arrière après que les associations, dont la nôtre, sont montées au créneau. Au-delà de l’allongement d’un “congé deuil” porté de 5 à 15 jours, la loi a créé de nouveaux droits pour les parents endeuillés (prolongation de versement des prestations familiales, versement d’une allocation forfaitaire pour les obsèques, maintien des droits au titre du RSA et de la prime d’activité pendant un an…). C’est une belle avancée.
Au-delà, cela interroge sur la place du deuil dans notre société et celle du deuil d’un enfant en particulier. La société veut avancer, passer rapidement à autre chose. Elle nous enjoint à nous consoler de sa perte et presque à le remplacer quand c’est possible. A l’association, nous disons non. Le deuil doit retrouver sa place dans la société, certainement pas en retrouvant des rites ancestraux un peu dépassés mais en donnant une vraie place à l’accompagnement. Comme l’a écrit Annick Ernoult : “Apprivoiser l’absence de son enfant ce n’est pas effacer sa vie”.

Les pouvoirs publics doivent-ils selon toi autoriser la poursuite des groupes d’entraide – sous réserve de conditions sanitaires renforcées – malgré le confinement ?
PB : C’est une question difficile et je ne te remercie pas de me la poser. La situation actuelle me semble d’autant plus anxiogène qu’il s’agit du second confinement et que nous avons tous l’impression que nous ne voyons pas la fin du tunnel de cette pandémie. Les parents et les frères et sœurs endeuillés ressentent cette situation avec une acuité renforcée. Là aussi le sujet ne concerne que très peu de personnes, une soixantaine actuellement pour Apprivoiser l’Absence. Le législateur pourrait dès lors considérer que notre association mérite un traitement dérogatoire. De la même façon, les associations qui apportent du soutien en organisant également des groupes de parole dans d’autres domaines pourraient bénéficier d’une mesure d’assouplissement similaire. Mais au moment où la transmission du virus s’accélère, notre préoccupation doit aussi être la santé des parents, des frères et sœurs et des bénévoles qui participent à nos activités. Je suis bien incapable de quantifier les risques que nous pourrions courir en continuant à nous réunir même si nous avons très scrupuleusement appliqué les mesures barrières. Dura lex, sed lex (ndlr : la loi est dure, mais c’est la loi), il faudra reporter nos rencontres. Toutefois, nous mettons en place au sein des groupes, quand cela est possible et souhaité, des visioconférences pour conserver le lien au sein de ceux-ci.

Pour conclure, je fais un rêve, celui que l’accès à nos activités d’accompagnement du deuil soit le plus large possible. Dans le groupe auquel j’ai participé, un couple faisait 600 km pour nous rejoindre. D’une certaine façon, c’est inacceptable. Mais pour cela il faudra créer de nouvelles antennes et recruter de nouveaux animateurs. C’est un challenge difficile mais tellement motivant. Pour revenir sur la deuxième question, je suis aussi très bavard. Mais c’est de mon point de vue la conséquence de ma passion et de mon envie, c’est plutôt bon signe, non ?

Propos recueillis par Olivier Milot

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