
Samedi 16 novembre dernier, le groupe Audiens organisait son traditionnel colloque annuel consacré au deuil. Cette année, les présentations avaient pour thème générique : “Le deuil… et après”. Parmi les intervenants, le philosophe, thérapeute et écrivain, Denis Marquet, a développé l’idée que – sous certaines conditions – tristesse et joie pouvaient très bien co-habiter après le deuil d’un être cher. Extraits.
“Quand on perd un être cher, on perd un être unique. Au moment précis de sa disparition, il est souvent difficile de réaliser à quel point l’être perdu était unique. La relation d’être unique à être unique peut en effet être empêchée pour de multiples raisons : trop d’attentes, d’ego, de système de défense, de personnalité conditionnée. Mais quand l’unicité de l’être disparu nous apparaît pleinement, vient le regret de ne pas l’avoir assez perçue, de ne pas s’en être assez émerveillé. Cette expérience du deuil recèle pourtant quelque chose de positif. Le deuil est là pour nous rappeler l’unique. Il est là pour nous rappeler que chaque moment est unique, mais aussi que chaque être est unique. (…)
Il existe un sentiment d’impossibilité du deuil lié à la conscience de l’unicité de la personne perdue. En effet, dans la mesure où la personne perdue était unique, elle en devient irremplaçable. On peut remplacer un objet de projection, on ne remplace pas un être unique. Pourtant, paradoxalement, si on vit jusqu’au bout – aussi douloureuse soit-elle – la conscience que l’autre est unique – et surtout si on l’a vécu dans la relation qu’on entretenait avec elle – alors la tristesse peut coexister avec la joie. Parce que la rencontre a eu lieu. La rencontre dans son sens le plus fort, celle de deux êtres uniques se reconnaissant comme tels, et s’émerveillant l’un de l’autre. Si j’ai vraiment rencontré l’autre dont je pleure la perte alors, à la fois j’ai le sentiment que sa perte est irremplaçable, et, en même temps, la rencontre a eu lieu. La rencontre est. Tout se passe comme si cette “Rencontre” avec un grand “R” transcendait le temps. Elle est. Et la joie de reconnaître que cette rencontre “est”, que l’unité a eu lieu d’être à être, et donc que l’unité “est”, autorise la joie à coexister avec la tristesse.
L’une et l’autre ne prennent pas la même place. La tristesse “est”, et dans la mesure où on l’accepte, alors on peut aussi ressentir de la joie à un niveau plus profond. La plus grande tristesse et la plus grande souffrance peuvent ainsi coexister avec la plus grande joie. Selon moi, ce paradoxe tient au fait que la joie naît toujours de l’acceptation. Dans la mesure où on accepte de vivre la souffrance, de vivre la tristesse, alors la joie devient possible. Et la joie peut co-exister avec la souffrance.”
Propos recueillis par Olivier M.