
En fixant d’emblée les limites de l’exercice (comment parler sereinement de la souffrance à des parents endeuillés ?), Lama* Puntso a su synthétiser les enseignements du Bouddha pour analyser la souffrance et savoir qu’en faire.
Lama Puntso est président de l’association Semdrel, association bouddhiste d’accompagnement des personnes en deuil et en fin de vie.
Avant propos
Qu’est-ce qui dans l’enseignement du Bouddha peut être pertinent, autour du thème de la souffrance, pour des parents qui ont perdu leur enfant ?
Une histoire peut situer le sujet. Un jour, une femme qui venait de perdre son enfant vient voir le Bouddha et lui dit :
Puisque tu es l’Eveillé, tu vas faire revenir mon enfant à la vie.
Oui, bien sûr, répond le Bouddha. Mais pour cela, il faut que tu me rapportes trois grains de moutarde blanche d’un lieu où personne n’a connu la mort.
La femme se met en quête et se rend rapidement compte que mener à bien cette tâche est impossible : dans chaque lieu où elle trouve trois grains de moutarde, quelqu’un est décédé un jour, un parent, un frère, un oncle, etc.
La femme prend conscience du caractère universel de sa situation. Cela ne résoud en rien sa souffrance mais quelque chose en elle s’apaise. Elle organise alors les obsèques de son enfant puis revient voir le Bouddha et le remercie de lui avoir fait prendre conscience de l’universalité de sa situation.
Que conclure de cette histoire ? En soi, la souffrance de perdre un enfant n’a pas de sens. Mais une fois qu’elle est là, la seule question qui vaille est la suivante : qu’est-ce que je fais de cette situation ? On peut décomposer cette interrogation en trois sous thèmes :
1/ Qu’est-ce que la souffrance ?
2/ Qu’est-ce que je fais avec cette souffrance ?
3/ Comment la souffrance peut revêtir une dimension spirituelle ?
1/ Qu’est-ce que la souffrance ?
Qu’est-ce que le Bouddha a vécu ? Il y a 25 siècles, dans le nord de l’Inde, voilà un homme qui vit dans un environnement totalement privilégié aussi bien financièrement qu’affectivement : ses parents ont tout fait pour lui éviter la souffrance. Il vit comme un prince sans que l’idée de souffrance arrive jamais dans ses sensations. A un moment donné, il sort de sa prison dorée et voit la souffrance de la maladie, de la vieillesse et de la mort.
Comment réagit-il ? Il en vient à réfuter l’idée que la vie normalement devrait bien se passer. En effet si l’on reste avec cette idée préconçue, quand la souffrance survient, elle est vécue comme quelque chose qui n’aurait pas dû se passer. Le Bouddha dit non : le souffrance qui nous arrive, ce n’est pas quelque chose qui aurait pu être évité si… Non, la souffrance est inhérente au processus de vie.
Même si c’est difficile à entendre, il faut accepter que lorque l’on met un enfant au monde, on donne également la possibilité de le perdre.
La souffrance du deuil n’est pas une injure à notre destin mais inhérente à l’humain
Le Bouddha pose ainsi la souffrance comme inhérente au vivant. C’est la vérité de la souffrance.
Le Bouddha ne pose pas cela pour que nous subissions les choses. Mais pour qu’en acceptant ce que nous vivons, nous puissions travailler avec.
En quoi consiste précisément cette chose sur quoi nous devons travailler car chacun semble avoir sa propre version de la souffrance ? C’est un ensemble de causes et de circonstances expérimentées comme une douleur.
– Selon le Bouddha, il n’y a pas une souffrance mais cumul de souffrances. En effet, la douleur de la perte, de vivre ce qu’on ne voulait pas vivre, d’être confronté à tout ce que l’on ne voulait pas expérimenter ne constitue qu’un aspect de la souffrance. A cela viennent s’ajouter :
– La souffrance du changement. En quoi consiste-t-elle ? Le fait d’être attaché à quelque chose qui nous fait vivre, qui nous nourrit, que l’on aime nous fait oublier que cette chose peut s’arrêter. Or, perdre ce que l’on aime fait partie du vivant.
– La souffrance en formation. C’est la souffrance inhérente au vivant, ce sentiment que dans la relation à l’autre, il y a toujours quelque chose en trop ou pas assez…
2/ Qu’est-ce que je fais avec cette souffrance ?
Quel sens peut-on donner à la perte d’un enfant ? Cette souffrance n’a aucun sens en elle-même. Pourtant cette expérience est là pour nous faire grandir et en plus faire grandir les autres. Bien sûr que la douleur que l’on expérimente est absurde. On perd ce que l’on a de plus cher, mais en même temps est-ce que l’on peut transformer cette souffrance et poser un regard sur l’autre qui soit bienveillant ? C’est là le défi. Une analogie peut éclairer ce propos. Quelqu’un court tous les jours 20 kms. Si on vient lui demander si c’est douloureux, il va évidemment répondre : “oui”. Si on lui demande si c’est de la souffrance, il répondra : “non, c’est de l’entraînement”.
Comment faire pour ne pas subir cette souffrance uniquement comme une victime ? Nous avons besoin que les choses fassent sens, dans les deux sens du terme : qu’elles revêtent une signification et qu’elles pointent une direction. La méditation bouddhiste consiste à accueillir ce que l’on vit pour en faire une rencontre libératrice. “Puisque ce que cela fait partie de mon existence, quel sens puis-je lui donner ?” Je peux vivre ma douleur comme un événement de ma vie qui peut me faire grandir.
3/ Comment la souffrance peut-elle revêtir une dimension spirituelle ?
En quoi, cette souffrance peut me libérer et de quoi ? Même si c’est difficile à entendre, l’agréable n’est pas forcément synonyme de bonheur ; il ne faut pas nécessairement rejeter le désagréable. Cette souffrance que je vis, je peux petit à petit m’en servir pour devenir plus humain, pour retrouver une forme plus équilibrée de bonheur.
Autrement dit :
Est-ce que l’on souhaite être heureux ? Parfois la souffrance est tellement forte qu’on en doute. Mais généralement, on répond oui.
Est-ce que la recherche du bonheur est légitime ? Oui
Est-ce que les autres recherchent le bonheur ? Oui
Le bonheur n’a de valeur que s’il est bon à la fois pour moi et pour les autres.
Enfin, il faut parvenir à assumer l’impermanence ; en Occident, nous ne sommes pas éduqués pour faire face au changement et nos avons plutôt l’habitude de figer les choses ; dans les pays orientaux, une mère sait que si elle met au monde un enfant, elle peut aussi le perdre. En occident, c’est tabou.
Concrètement en contemplant cette idée, on peut entendre petit à petit que toute expérience douloureuse fait partie de l’humain. On pourra petit à petit accepter que la souffrance n’a de sens que celui que je lui donne…
* Lama : titre donné à un enseignant religieux du bouddhisme tibétain.
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